«Genève se profile comme la capitale de la diplomatie digitale»

La spirale de la surrèglementation de l'économie était au cœur de la Better Regulation Conference tenue ce mardi à Genève. Vincent Subilia, directeur adjoint de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève (CCIG), était l'un des 16 conférenciers invités. Entretien sur la situation en Suisse et à Genève.

Des marchés concurrentiels, davantage de consultation et d'analyses d'impact en amont, de même que les principes de bonne gouvernance et le renoncement à légiférer: telles sont les solutions, avancées lors de la Better Regulation Conference tenue ce mardi à Genève, pour enrayer la spirale de la surrèglementation de l'économie. Vincent Subilia, directeur adjoint de la Chambre de commerce, d'industrie et des services de Genève (CCIG), était l'un des 16 conférenciers invités. Entretien.

Selon vous, la lutte contre la bureaucratie doit-elle devenir une priorité politique?

A mon sens, la réelle priorité politique consiste à nous assurer que le cadre réglementaire réponde, avec efficacité, aux besoins des acteurs économiques. L'exercice est difficile dans la mesure où il implique d'identifier un équilibre entre la prévisibilité dont les acteurs économiques ont besoin, et la nécessité de disposer d'une réglementation qui soit orientée vers les exigences du marché. Et surtout, cet équilibre ne doit pas être un frein à l'innovation dont la Suisse se nourrit. A ce titre, plutôt que de se demander «Pourquoi l'on ne réglemente pas», il faudrait se demander s'il est véritablement nécessaire de réglementer.

Si l'on se réfère aux rankings internationaux, dans le «Ease of Doing Business Index» de 2018 de la Banque mondiale, la Suisse se classe 33e, loin derrière ses voisins européens. Et sa situation s'est d'ailleurs dégradée. La Suisse manque-t-elle d'ambition quand il s'agit de restreindre les contraintes administratives?

Les statistiques reposent sur des critères qui peuvent varier; ainsi, il est bon de rappeler que la Suisse arrive souvent en tête de liste en matière d'innovation et de compétitivité. De manière générale, la Suisse est bonne élève; ceci dit il y a effectivement une marge de progression. Il faut notamment s'interroger sur la densité et l'intensité réglementaire, qui prennent des proportions considérables, et peuvent constituer un obstacle pour nos acteurs économiques.

Ceci étant, dans le sous-index de «création d'entreprise», la Suisse se classe à une misérable 73e place. En tant que directeur général adjoint de la CCIG, quel est votre discours pour rassurer et attirer de nouveaux entrepreneurs à s'établir à Genève?

Il faut nuancer ce résultat. Le terreau suisse et genevois est tout à fait fertile. Le développement d'activités dynamiques sur nos latitudes dépend d'une conjonction de plusieurs facteurs. Parmi ceux-ci, un certains nombres de voyants sont en vert, comme la qualité de la main d'œuvre et de la formation. En revanche, une évolution doit, probablement, se faire dans l'état d'esprit. Je m'explique: il s'agit de pouvoir réconcilier le temps économique, qui est très court, avec le temps politique, qui lui est bien plus long. Or, nous évoluons dans une société d'une grande complexité, marquée par le diktat de l'immédiateté, et paradoxalement par un besoin de sécurité. Il faut que la Suisse augmente encore le niveau de pragmatisme qui la caractérise.

Dans votre discours, vous avez mentionné une «Smart and Sharp Regulation». Sur quoi repose ce modèle?

Pour viser à une réglementation efficace, il importe de se soumettre à une triple interrogation préalable: Pourquoi règlemente-t-on? Que règlemente-t-on? Et comment le règlemente-t-on? Nous sommes dans une société qui accepte de moins en moins le risque; en atteste les multitudes de polices d'assurances que contracte chacun des ménages helvétiques. Dans le même temps, nous voulons favoriser l'entrepreneuriat, lequel est intrinsèquement porteur de risques. A mon sens, le modèle suisse doit évoluer pour intégrer cet appétit au risque accru (et donc à l'échec), que la législation doit accompagner en disposant du plus grands nombres d'incitatifs à l'esprit entrepreneurial.

La Suisse, et plus particulièrement Genève, semble se positionner parmi les nations les plus engagées dans la révolution des technologies de la blockchain, et plus généralement des crypto-actifs. Qu'est-ce que cela change pour la réglementation?

On constate une approche plus flexible du régulateur par rapport à certaines thématiques en lien avec l'innovation. C'est le cas en matière de «fintech», une législation moins contraignante — du type «licence light» - ayant pour vocation de répondre rapidement aux besoins du marché; La blockchain et les crypto-monnaie constituent également des innovations technologiques dont l'encadrement réglementaire doit être soigneusement appréhendé de concert avec les acteurs du marché et les associations économiques qui les représentent, pour ne pas brider l'élan réjouissant que l'on observe actuellement. A cet égard, on constate en effet l'émergence d'acteurs majeurs dans le domaine de la blockchain. Genève en est la place forte, car il y a dans son écosystème la conjugaison de facteurs tout à fait unique: la présence des organisations internationales et d'ONG mais aussi des sociétés privées spécialisées, notamment quant à la certification (tels la Société Générale de Surveillance — SGS), ainsi que la volonté des autorités publiques. Cette conjonction de facteurs nous permet d'émerger comme la ville de référence et de nous profiler comme la «capitale de la diplomatie digitale». C'est en effet à Genève que s'édifient les bases de la future régulation de la cyber-sécurité, que Brad Smith (n.d.l.r. Président de Microsoft) appelait de ses vœux en évoquant une nouvelle Convention de Genève.

Matteo Ianni, L'Agefi

27 septembre 2018