Avec L’ère Milei, l’économiste allemand Philipp Bagus propose un ouvrage complet et accessible consacré à un phénomène politique inédit : l’arrivée à la présidence de l’Argentine d’un anarcho-capitaliste déclaré, Javier Milei. Publié d’abord en espagnol et en allemand, l’Institut Libéral propose aujourd’hui la traduction française. Ce livre plonge le lecteur au cœur d’un mouvement intellectuel et politique qui bouleverse les repères habituels du libéralisme contemporain.
Dès la préface, rédigée par Milei lui-même, le ton est donné : «Viva la libertad, carajo !» – cri de ralliement devenu symbole d’un pays qui se redécouvre une foi en la liberté. Milei y raconte sa conversion au libéralisme après des années d’enseignement keynésien, sa fascination pour Mises, Hayek et Rothbard, et sa conviction que seule la connaissance économique mène à la liberté. Cette entrée en matière, à la fois personnelle et doctrinale, donne chair à un combat intellectuel autant qu’à un parcours de vie.
Bagus, professeur d’économie et figure de l’«école autrichienne», dresse ensuite un portrait vivant de son sujet : l’enfant de la classe moyenne de Buenos Aires, gardien de but et chanteur de rock, devenu économiste par volonté de comprendre l’inflation qui rongeait son pays. Il retrace la mue intellectuelle de Milei – du post-keynésianisme à la découverte foudroyante de Rothbard et Mises, jusqu’à l’anarcho-capitalisme assumé. Mais l’auteur ne se contente pas d’une biographie : il montre comment cette quête intellectuelle s’est transformée en une stratégie politique sans précédent.
Car L’ère Milei raconte aussi une victoire culturelle. Dans une Argentine épuisée par le péronisme, Milei a fait descendre la théorie économique dans la rue : conférences sur les places de marché, marches pour la liberté, tirage au sort de son indemnité de député… Autant de gestes spectaculaires qui ont brisé le monopole moral de la gauche et rendu le libéralisme populaire. Bagus analyse ce basculement avec finesse : l’alliance entre populisme et rigueur intellectuelle, la redéfinition du clivage gauche-droite, et la manière dont Milei, en s’attaquant à «la caste», a su donner un visage humain à la liberté économique.
L’essai prend une dimension plus large lorsqu’il s’interroge sur la portée mondiale du phénomène. Les discours de Milei à l’étranger, notamment au Forum économique mondial de Davos, son influence auprès d’une jeunesse connectée, et plusieurs signaux indiquent que l’Argentine pourrait devenir un laboratoire pour une nouvelle génération de libéraux plus conséquents. Bagus pose la question qui traverse tout le livre : et si la dynamique libérale venait désormais d’ailleurs que d’Europe ou des États-Unis ? Une voie où la responsabilité individuelle, la discipline budgétaire et la défense de la propriété privée redeviendraient des valeurs cardinales.
L’ouvrage L’ère Milei rappelle que les idées, même minoritaires, peuvent renverser un ordre établi lorsqu’elles s’allient à la passion et à la cohérence morale. À l’heure où l’Occident s’interroge sur la montée de l’étatisme, le cas argentin apparaît comme un rappel salutaire : la liberté reste contagieuse.
Ce livre se lit autant comme le portrait d’un homme que comme le manifeste d’une époque. Bagus y esquisse la promesse d’un monde où l’économie retrouve sa dimension éthique et où le courage politique renaît sous des cieux inattendus. Qu’on partage ou non la vision de Milei, L’ère Milei offre une lecture stimulante, à la fois intellectuelle et narrative : celle d’un pays qui tente de se réinventer par la liberté.