L’ascension fulgurante de Javier Milei à la présidence de l’Argentine a souvent été rangée, un peu vite, dans la catégorie du «populisme». Ton abrasif, dénonciation de la «caste», rapport direct avec le peuple : tous les ingrédients semblent réunis. Pourtant, à y regarder de plus près, le phénomène Milei rompt profondément avec les codes du populisme classique.
Dans L’ère Milei. La nouvelle voie de l’Argentine l’économiste Philipp Bagus montre que si Milei emprunte certains ressorts rhétoriques du populisme, il en inverse la logique politique et idéologique.
Un discours anti-élite… sans promesse de redistribution
Le populisme traditionnel repose généralement sur une promesse centrale : reprendre aux élites pour redistribuer au «peuple». Qu’il soit de gauche ou de droite, il s’appuie sur un État fort, protecteur et interventionniste. Milei, au contraire, construit son discours contre l’élite politique tout en refusant explicitement la logique redistributive.
Sa cible n’est pas les riches ou les étrangers, mais l’État lui-même, qu’il considère comme le principal mécanisme de spoliation des classes populaires par l’inflation, les déficits et la dette. Là où le populisme classique promet davantage de dépenses publiques, Milei propose moins d’État, moins d’impôts et moins de régulation. Un positionnement radicalement atypique dans l’histoire des mouvements dits populistes.
Un leadership fondé sur les idées, pas sur l’émotion seule
Autre rupture majeure : la centralité des idées. Le populisme repose souvent sur une mobilisation émotionnelle, parfois déconnectée de toute cohérence doctrinale. Milei, lui, s’appuie sur un corpus idéologique extrêmement structuré : le libertarianisme et l’école autrichienne d’économie. À chaque intervention, il assène ses messages et n’hésite pas à être complexe dans ses explications.
Ses discours, y compris en pleine campagne électorale, font référence à Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Murray Rothbard. Des auteurs notoirement absents des répertoires populistes traditionnels. Comme le souligne Bagus, Milei ne simplifie pas son discours pour flatter l’opinion ; il cherche au contraire à élever le débat public, quitte à prendre le risque de l’impopularité
Un rapport paradoxal au pouvoir
Les leaders populistes tendent à concentrer le pouvoir exécutif et à renforcer l’appareil d’État au nom du peuple. Milei adopte la démarche inverse : il se présente comme un président qui veut réduire son propre pouvoir. Suppression de ministères, coupes budgétaires drastiques, remise en cause de la banque centrale : son projet politique vise explicitement à limiter la capacité d’action de l’État, y compris à terme celle de l’exécutif qu’il dirige.
Ce rapport paradoxal au pouvoir, qui consiste à l’exercer pour le restreindre constitue une anomalie dans la tradition populiste, historiquement marquée par l’hypertrophie de l’autorité politique.
Une mobilisation populaire sans clientélisme
Enfin, Milei se distingue par l’absence de clientélisme. Là où le populisme traditionnel s’appuie sur des réseaux de dépendance matérielle (subventions, emplois publics, aides ciblées), le mouvement La Libertad Avanza s’est développé avec très peu de moyens financiers, sans promesses sectorielles ni alliances corporatistes.
Sa base électorale, notamment composée de jeunes, s’est construite autour d’un rejet du système existant et d’une aspiration à l’autonomie plutôt qu’à la protection étatique. Un phénomène que Bagus décrit davantage comme une rébellion libérale que comme un soulèvement populiste classique.
Cette rupture apparaît aussi de manière emblématique dans l’une de ses phrases les plus célèbres : «Je ne suis pas venu en politique pour guider des moutons, mais pour réveiller des lions». Cette formule résume l’antipopulisme de Milei. Le populisme traditionnel suppose un peuple passif, à protéger, à assister et à diriger. Milei, au contraire, rejette toute posture paternaliste. Il ne se présente pas comme le porte-voix d’une masse dépendante, mais comme un catalyseur de responsabilité individuelle. Le citoyen n’est pas une victime à indemniser, mais un acteur à émanciper.
Un objet politique non identifié
Javier Milei emprunte au populisme son style et son énergie, mais en subvertit le fond. Anti-étatiste, idéologue assumé, hostile à la redistribution et méfiant envers le pouvoir qu’il exerce, il incarne une figure politique hybride, difficile à classer. Plus qu’un populiste traditionnel, Milei apparaît comme le produit d’une crise profonde de la représentation politique et comme le symptôme d’un basculement idéologique inédit en Amérique latine.
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