Le monde se porte mieux que la plupart des gens ne le pensent. La raison ? Nous sommes plus enclins à nous concentrer sur les mauvaises nouvelles que sur les bonnes.
Est-ce que le pourcentage de la population mondiale qui vit dans l’extrême pauvreté a pratiquement doublé, a été divisé par deux ou est resté le même au cours des 20 dernières années ? Lorsque le statisticien suédois et expert en santé publique Hans Rosling a commencé à poser cette question aux gens en 2013, il a été stupéfait par leurs réponses. Seuls 5 % des 1’005 citoyens américains interrogés ont donné la bonne réponse : l’extrême pauvreté a été réduite de presque 50%. En choisissant une réponse au hasard, on aurait obtenu un meilleur résultat. Les gens sont donc pire qu’ignorants : ils croient savoir beaucoup de choses désastreuses sur le monde, qui sont, en fait, fausses.
En 2018, Rosling a publié un magnifique ouvrage qui s’oppose à ce pessimisme. Son titre est éloquent : Factfulness : Ten Reasons We’re Wrong About the World-and Why Things Are Better Than You Think (Traduit en français par Factfulness : Penser clairement ça s’apprend !). En tant qu’auteur d’un livre intitulé The Rational Optimist, je suis heureux de faire partie d’un groupe d’optimistes, qui comprend également des auteurs tels que Steven Pinker, Bjorn Lomborg, Michael Shermer et Gregg Easterbrook.
Pour nous, les «nouveaux optimistes», le combat est difficile. Aussi convaincantes que soient nos preuves, nous nous heurtons régulièrement à de l’incrédulité, voire à de l’hostilité. Comme si le fait de mettre l’accent sur les aspects positifs était malvenu. Les gens ne veulent pas se départir de leur pessimisme quant à l’état du monde. En 1828, John Stuart Mill synthétisait déjà cette tendance : «J’ai observé que ce n’est pas l’homme qui espère quand les autres désespèrent, mais l’homme qui désespère quand les autres espèrent, qui est considéré comme un sage par une grande partie de la population». Autrement dit, c’est bien vu d’être pessimiste.
Des études montrent régulièrement que les habitants des sociétés développées ont tendance à être pessimistes à propos de leur pays et du monde, mais optimistes à propos de leur propre vie. Ils s’attendent à gagner plus et à rester mariés plus longtemps qu’ils ne le font généralement. L’enquête Eurobaromètre révèle que les Européens sont presque deux fois plus susceptibles de s’attendre à ce que leurs propres perspectives économiques s’améliorent au cours de l’année à venir qu’à ce qu’elles se détériorent. Tout en s’attendant à ce que les perspectives de leur pays se détériorent plutôt qu’à ce qu’elles s’améliorent. Le psychologue Martin Seligman, de l’Université de Pennsylvanie, avance une explication à ce phénomène : nous pensons que nous contrôlons notre propre destin, mais pas celui de la société dans son ensemble.
Il y a certes de nombreuses raisons de s’inquiéter dans le monde d’aujourd’hui, du terrorisme à l’obésité en passant par les problèmes environnementaux. La persistance du pessimisme au sujet de notre monde nécessite une explication qui dépasse les faits eux-mêmes. Voici quelques pistes :
Les mauvaises nouvelles surviennent plus brusquement que les bonnes, qui sont généralement échelonnées dans le temps.
Les mauvaises nouvelles sont donc plus dignes d’intérêt. Guerres, attentats, accidents, meurtres, tempêtes, inondations, scandales et catastrophes en tout genre tendent à dominer l’actualité. «If it bleeds, it leads» («S’il y a du sang, ça fait lire les gens»), dit-on dans les rédactions. Par contraste, la réduction progressive de la pauvreté dans le monde fait rarement l’objet d’une couverture médiatique soudaine. Comme le souligne Rosling, «dans les médias, les événements ‘dignes d’intérêt’ exagèrent l’inhabituel et mettent l’accent sur les changements rapides».
Cela fait partie de ce que les psychologues appellent le «biais de disponibilité». Une bizarrerie de la cognition humaine remarquée pour la première fois par Amos Tversky et Daniel Kahneman dans les années 1970. Les gens surestiment largement la fréquence de la criminalité, car celle-ci occupe une place disproportionnée dans l’actualité. Or, la violence aveugle fait parler d’elle parce qu’elle est rare. Alors que la gentillesse ordinaire ne fait pas parler d’elle parce qu’elle est très répandue.
Les mauvaises nouvelles sont généralement importantes ; les bonnes ne le sont pas forcément.
À l’époque préhistorique, il était plus logique de s’inquiéter des risques – cela pouvait permettre d’éviter d’être tué par un lion – que de célébrer un succès. C’est peut-être la raison pour laquelle les gens ont un «biais de négativité». Dans un article publié en 2014, des chercheurs de l’Université McGill ont examiné les articles de presse que les participants de leur étude choisissaient de lire dans le cadre de ce qu’ils pensaient être une expérience d’eye-tracking. Il s’avère que même lorsque les gens disent qu’ils veulent plus de bonnes nouvelles, ils sont en réalité davantage intéressés par les mauvaises nouvelles : «Indépendamment de ce que les participants disent, ils montrent une préférence pour les nouvelles négatives», concluent les auteurs Mark Trussler et Stuart Soroka.
Les gens pensent en termes relatifs et non absolus.
À l’âge de pierre, ce qui déterminait le succès dans la compétition pour les ressources (et les partenaires) c’était de savoir si l’on se débrouillait bien par rapport aux autres. Le fait d’apprendre que les autres se portent bien est donc une forme de mauvaise nouvelle. Lorsque les circonstances s’améliorent, les gens considèrent ces améliorations comme allant de soi et revoient leurs attentes à la hausse.
Cette tendance au relativisme affecte même nos relations les plus intimes. Une étude ingénieuse menée en 2016 par David Buss et ses collègues de l’Université du Texas à Austin a révélé que «les participants dont la valeur est inférieure à celle de leur partenaire sont généralement satisfaits, peu importe le nombre de partenaires qui se présentent à eux ; en revanche, les participants dont la valeur est supérieure à celle de leur compagnon sont de plus en plus insatisfaits de leur relation au fur et à mesure que de meilleurs partenaires deviennent disponibles».
À mesure que le monde s’améliore, les gens redéfinissent ce qu’ils entendent par «mauvaise nouvelle».
Selon une étude de David Levari et Daniel Gilbert, psychologues à Harvard, plus une chose devient rare, plus nous redéfinissons le concept en question de manière diffuse. Ils ont ainsi constaté lors d’une expérience que plus les points bleus étaient rares, plus les gens étaient susceptibles de qualifier les points violets de «bleus», et que plus les visages menaçants étaient rares, plus les gens étaient susceptibles de décrire un visage comme étant menaçant. «Qu’il s’agisse de simples perceptions de couleurs ou de jugements éthiques plus poussés», écrivent-ils, «les normes de perception et de jugement ont une forte tendance à ‘se déformer’ alors qu’elles ne devraient pas le faire».
Prenons l’exemple du transport aérien : les accidents d’avion se font de plus en plus rares – 2017 a été la première année sans aucun accident d’avion de ligne, malgré la présence de quatre milliards de personnes dans les airs – mais chacun d’entre eux fait désormais l’objet d’une couverture médiatique beaucoup plus importante. Nombreux sont ceux qui considèrent encore l’avion comme un mode de transport risqué.
Nous sommes même capables de nous inquiéter de l’abondance de la prospérité, comme le souligne Weird Al Yankovic dans sa brillante chanson First World Problems : «The thread count on these cotton sheets has got me itching / My house is so big, I can’t get Wi-Fi in the kitchen.» («Le nombre de fils de ces draps en coton me démange / Ma maison est si grande que je ne peux pas avoir le Wi-Fi dans la cuisine»). Sheena Iyengar, de la Columbia Business School, est devenue une star TED pour ses recherches sur la maladie moderne débilitante connue sous le nom de «problème de la surabondance des choix». C’est-à-dire le fait d’être paralysé par le fait de devoir choisir parmi, par exemple, les dizaines de types d’huile d’olive ou de confiture proposés au supermarché. Les Nord-Coréens, les Syriens, les Congolais et les Haïtiens ont généralement des préoccupations plus importantes.
D’autres effets psychologiques existent également. On a tendance à se souvenir des bons côtés du passé et à oublier les mauvais, un phénomène connu sous le nom de «bosse de la réminiscence» : Les gens sont nostalgiques de leur jeunesse, quelle que soit la manière dont elle s’est déroulée. Par ailleurs, certains organismes ont un intérêt direct à propager de mauvaises nouvelles pour obtenir des dons.
Enfin, il y a ce que j’appelle la «turn-point-ite». Il s’agit de la tendance à penser que les choses se sont peut-être améliorées dans le passé, mais qu’elles ne le feront plus à l’avenir, parce que nous nous trouvons à un tournant de l’histoire. Il est vrai, comme les courtiers aiment à le dire, que les performances passées ne préjugent pas des performances futures. Mais comme l’historien Lord Macaulay l’a écrit il y a près de deux siècles, «selon quel principe, alors qu’il n’y a que des améliorations derrière nous, devons-nous nous attendre à ce qu’il n’y ait que des détériorations devant nous ?»
Alors, réjouissez-vous. Le monde va mieux que vous ne le pensez.
Matt Ridley est un scientifique, journaliste et homme d’affaires. Cette contribution est une traduction d’un texte publié en anglais sur le site HumanProgress.org.