L’échec de l’aide au développement reste l’un des grands tabous de notre époque. C’est pour se pencher sur cette problématique du point de vue des pays victimes de l’industrie de la pauvreté, qui perpétue le cercle vicieux de la dépendance et de l’assistance, que l’Institut Libéral a tenu le 2 novembre à l’Université de Genève, en collaboration avec l’association Students for Liberty, la projection du film primé 41 fois «Poverty, Inc. — Povery is Big Business but who Profits the Most?». Ce documentaire réalisé sur la base de 200 interviews dans 20 pays relate la difficulté inhérente à remettre en question un paradigme erroné.
Comme l’a observé en introduction de la soirée Ferghane Azihari, chargé d’études à l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF) à Paris, toute l’histoire du développement économique depuis 200 ans contredit la thèse de la nécessité d’une aide extérieure. La corrélation entre l’aide et le recul de la pauvreté est inexistante. Cela s’observe notamment dans le cas de l’Asie et d’une manière générale dans la réduction de la pauvreté de 800 millions de personnes dans le monde grâce à la mondialisation capitaliste de ces dernières décennies. Or dans le cas du continent africain se perpétue une notion selon laquelle celui-ci serait incapable de se développer sans aide, ce qui trahit de forts relents paternalistes. Les effets de l’aide sont négatifs, dans la mesure où elle nourrit un fatalisme par rapport à la création d’entreprises, court-circuitée par la corruption et la bureaucratie. L’aide tend précisément à préserver les mauvaises institutions et les mauvaises politiques ainsi que les régimes corrompus. L’État de droit sur la base de droits de propriété clairement définis serait la première étape vers un développement fondé sur la créativité entrepreneuriale, l’activité productive, l’accumulation de capital, la division du travail et le libre-échange.
Le film «Poverty, Inc.» a illustré cette analyse en montrant les dégâts de l’aide sur la base d’expériences concrètes. La charité, l’aide ou la coopération au développement, quelle que soit son appellation, tend surtout à servir les intérêts des organisations caritatives, qui n’auraient plus de travail si la pauvreté était réellement éradiquée. D’où la nécessité de maintenir les populations dans la dépendance. Le film accorde toutefois aux protagonistes de l’aide le bénéfice du doute et de bonnes intentions. Ce sont les conséquences qui posent problème, comme dans le cas emblématique d’un fermier rwandais qui vient de commencer un élevage de poules pondeuses. Or une église américaine bien intentionnée décide d’envoyer des œufs gratuitement pour aider la population. Du jour au lendemain, le fermier ne peut plus vendre ses produits sur le marché, et bien que la population en tire parti pendant une brève période, lorsque l’église change de priorité philanthropique, l’économie locale n’est plus en mesure de produire d’œufs.
Cette expérience fait écho à un schéma récurrent: les efforts entrepreneuriaux locaux sont contrecarrés par un soudain afflux de biens gratuits qui détruisent leur rentabilité. Ainsi Bill Clinton fait son mea culpa devant le Congrès américain après que le déversement de riz subventionné à large échelle a eu raison de l’agriculture de Haïti, dont la population rurale s’est déplacée vers la capitale, générant d’immenses bidonvilles. Les images de la misère véhiculées en Occident donnent une image faussée du Tiers Monde, suggérant une totale impuissance, alors que ces pays figurent souvent parmi les plus riches en ressources naturelles, y compris en paysages de tourisme, sans parler de l’ingénuité des populations à trouver des solutions à leurs propres problèmes. Souvent, après une catastrophe naturelle l’aide humanitaire devient le modèle permanent, les organisations caritatives se démultipliant et ne lâchant plus prise.
Toutes les aides, bien sûr, ne sont pas mauvaises. Un couple américain, en découvrant que 80% des enfants dans les orphelinats haïtiens ne sont pas vraiment orphelins, décide de prendre le défi par l’autre bout: en redonnant aux mères et aux pères la capacité de subvenir aux besoins de leurs enfants plutôt que de les en séparer. Cela passe par la libre entreprise, en l’occurrence la fabrication de joaillerie, par exemple. Ces études de cas à travers l’Afrique et les Caraïbes offrent un échantillon divers et instructif sur les effets pervers de l’aide mal pensée et la solution effective de l’entrepreneuriat et du travail productif.
Le film critique les stars irréfléchies qui voyagent dans ces pays pour le compte d’organisations caritatives, tiennent des concerts et lancent des collectes de fonds. Le chanteur Bono ou le fondateur de Toms Shoes, Blake Mycoskie, qui se focalisent sur la charité, qui «donnent des poissons à la place d’apprendre à pêcher», en prennent pour leur grade. Les pauvres ont surtout besoin d’être connectés aux marchés globaux, le seul moyen universel de créer de la richesse étant l’économie libre. Cette lucidité transcende le récit et l’analyse présentés par le documentaire.
Durant la discussion qui a suivi la projection, les interrogations ont porté sur les moyens d’améliorer l’État de droit et la sécurité du droit dans des régimes politiques souvent prédateurs, que l’aide au développement permet de se couper des populations, sans être redevables. La qualité de la gouvernance est l’un des plus grands enjeux, mais l’économie libre tend précisément à encourager la mise en place d’institutions facilitant les échanges et la résolution pacifique des conflits. Un autre problème est d’ordre idéologique: du fait que le libre marché est perçu comme étant occidental, une mentalité anticapitaliste est souvent répandue au sein des gouvernements en réaction aux colonialismes passés. Quoi qu’il en soit, l’aide publique, au-delà de l’aide humanitaire d’urgence, n’est pas la solution. Ses effets sont invariablement négatifs, car elle nie les fondements de la création de la richesse. Les États occidentaux devraient abandonner l’objectif officiel de redistribuer 0,7% du produit national brut à titre d’aide et s’engager à la place pour l’ouverture des marchés.