Bibliothèque de la liberté
«Ayn Rand – L’égoïsme comme héroïsme», de Mathilde Berger-Perrin – 128 pages, éditions Michalon
Mathilde Berger-Perrin est une essayiste et contributrice de presse, diplômée de l’École normale supérieure en philosophie et sciences cognitives. Co-fondatrice de l’association Women for Liberty France, elle se définit elle-même comme une journaliste féministe.
À la mort d’Ayn Rand, une couronne de fleurs en forme de dollars était posée à côté de son cercueil. Celle qui est née en 1905 dans la Russie tsariste et dont le père, pharmacien de son état, avait subi les affres de la collectivisation après la révolution d’Octobre, a fui l’URSS en 1926 pour ne jamais y revenir. Elle a trouvé dans la société américaine une terre d’exil propice au développement de ses théories philosophiques, conçues comme «une éthique individualiste, basée sur la raison» où la «seule fonction pour l’homme sur terre [est d’être] heureux»[1].
Après avoir débuté comme apprentie scénariste dans les studios de Cecil B. DeMille, elle est inspirée par le New Deal et «elle se sent investie de la mission de montrer la dangerosité de cet interventionnisme»[2]. Selon Mathilde Berger-Perrin, les premières œuvres d’Ayn Rand, telles que Nous les vivants et La source vive, se construisent autour du procès de la réussite où «les esprits rationnels perturbent un ordre social altruiste, entretenu par un petit nombre de manipulateurs, de pillards du génie des autres»[3]. Ainsi Howard Roark, architecte avant-gardiste qui refuse toute concession sur son style, «abandonne sa carrière et démolit son œuvre plutôt que de trahir son art».[4]
« Nous avons tous un héros qui dort en nous, et il nous appartient de le réveiller »
Cet égoïsme rationnel considère la raison comme une volonté, une vertu à laquelle s’adjoignent la détermination, l’estime de soi et la productivité, qui doivent être accomplies, non pour satisfaire un principe transcendantal, mais pour atteindre le bonheur, objectif suprême de la vie de l’homme sur terre, moyennant quoi l’altruisme est condamné. Aussi, la foi est-elle considérée comme «la pire malédiction de l’humanité» alors «qu’agir rationnellement est nécessairement moral [et] agir pour soi est admirable»[5].
Cette «éthique de l’estime de soi» est reliée à la définition du plaisir, «expression de la joie procurée par la sensation d’avoir le contrôle de son existence». De fait, «placer un amour au-dessus de soi, se sacrifier pour les autres ou sacrifier le bonheur des autres pour le sien trahit […] une faible estime de soi».
Politiquement, la philosophie de celle qui fut d’abord appelée Alisa Zinovievna Rosenbaum, décrit un État destiné à protéger les volontés individuelles et à proscrire la violence dans les relations sociales (ce qui comprend la protection du droit de propriété et des contrats) avec comme seules fonctions, la police, la justice et l’armée. Cette pensée trouve sa source dans un jusnaturalisme où le Léviathan garantit les droits naturels des individus : celui de vivre et de poursuivre ses propres objectifs de vie.
«L’homme ne doit pas se sacrifier pour les autres ni sacrifier les autres pour lui»
La pensée d’Ayn Rand se lit avant tout comme un exutoire du traumatisme de la jeune fille qu’une révolution barbare a délogée de la perspective Nevsky pour la contraindre à abandonner famille, amis et amour de jeunesse par un froid jour de janvier, sur le quai de la gare de Moscou. Le thème de la relation parent-enfant n’est ainsi que peu traité dans son œuvre, comme le mentionne Mathilde Berger-Perrin, qui a le mérite de nous livrer un précis assez fluide à lire, pour faire découvrir la pensée d’une philosophe moins connue en Europe continentale que dans le monde anglo-saxon et qui exerce pourtant une certaine influence, notamment dans les milieux de la Silicon Valley.
[1] Mathilde Berger-Perrin, Ayn Rand, L’égoïsme comme héroïsme, collection le Bien commun, éditions Michalon, p.10.
[2] Ibid, p.24.
[3] Ibid, p.29
[4] Ibid, p.40
[5] Ibid, p.53 et 57