Les politiciens détournent couramment le sens des mots pour légitimer l’intervention de l’Etat dans la sphère privée des individus, et restreindre ainsi leurs libertés. L’usage du mot «harmonisation» n’y échappe pas. Son évocation ne peut que provoquer l’assentiment — faire en sorte que les différences coexistent en bonne intelligence est un projet louable — elle éveille en nous le souvenir de mélodies agréables.
Remplaçons harmonisation par uniformisation. Sommes-nous dans la même mesure séduits par l’uniformisation des programmes et des horaires scolaires, par celle des tenues des élèves, de la fiscalité, des allocations ou des loyers? Certainement pas, car nous voyons dans l’uniformisation la perte de liberté que nous ne percevons pas derrière l’harmonisation.
L’uniformisation supprime le processus de découverte qu’est la concurrence; n’étant jamais connue d’avance, la meilleure solution ne peut émerger que de la confrontation des pratiques.
L’harmonie ne se décrète pas; elle naît naturellement de l’échange entre les individus et évolue sans cesse avec eux.
Le processus d’uniformisation est une opportunité pour ceux qui rêvent d’organiser notre mode de vie selon leurs désirs ou intérêts. Plutôt que de s’en prendre à leur incapacité de persuasion, les constructivistes de tout bord font appel à la loi, donc à la contrainte publique, et à l’usage insidieux de mots pour faire admettre leurs idées.
Les libertés individuelles sont d’autant plus en danger que l’uniformisation est poursuivie par les partis de gauche et de droite; ceci pour des raisons cependant fortement différentes.
Tandis que les premiers y voient un moyen de réaliser une hypothétique justice sociale et de construire une société selon leurs plans égalitaristes, les seconds, emmenés par certaines théories économiques, se prennent à rêver d’individus formatés selon leurs besoins, et de conditions adéquates pour ce qu’ils imaginent être une compétition économique internationale, alors qu’il s’agit d’échanges volontaires et pacifiques.
De plus, la droite, piégée par son acceptation tacite de la croissance ininterrompue de l’Etat providence, se voit obligée de défendre l’uniformisation pour tenter d’en limiter les coûts.
Or, les libertés individuelles ne peuvent être sacrifiées ni sur l’autel de l’idéologie, ni sur l’autel de l’efficience économique.
Le système fédéraliste est la cible privilégiée des tenants de l’uniformisation. Pour la gauche il a le tort de laisser subsister la différence — l’Etat providence n’est, heureusement, pas autant développé dans tous les cantons — et de permettre la concurrence. Pour la droite, il est une entrave à la réussite économique des entreprises de notre pays.
Pourtant les décisions prises au niveau le plus proche des individus sont toujours les plus adaptées. Elles répondent à un besoin effectif que les contribuables sont prêts à payer. Même si les désirs de tous les habitants peuvent parfois être identiques, nous ne pouvons pas prétendre qu’il existe une unique solution qui serait la meilleure pour tous.
Le fédéralisme convient à ceux qui attendent de la démocratie qu’elle protège les minorités; nullement à ceux qui considèrent que la majorité a toujours raison.
Comment la plupart des politiciens, en «harmonisant», peuvent-ils prétendre détenir la vérité de ce qui est bon pour les autres? Ils devraient faire preuve de plus d’humilité et admettre leur ignorance. En se souvenant que l’harmonie existe d’abord dans la différence, et donc dans le respect des choix et des préférences de chacun.