La concurrence interjuridictionnelle est généralement vue avec suspicion par la politique: alors que la concurrence sur les marchés fait baisser les prix et stimule l’innovation, «l’harmonisation», c’est-à-dire l’uniformisation des cadres juridiques est censée éviter un nivellement vers le bas. Cette contradiction était le thème de la soirée-débat du 19 octobre de l’Institut Libéral, comprenant la cérémonie de remise des prix du concours d’essai 2017 pour étudiants.
Dans son introduction, Pierre Bessard, directeur de l’Institut, a relevé l’actualité de la question avec les événements en Espagne et en Catalogne, ou au Royaume-Uni, tant avec le Brexit qu’avec les velléités d’indépendance de l’Ecosse. Historiquement, la dispersion du pouvoir politique est l’un des secrets de l’essor de l’Europe. La Suisse tire une partie de sa compétitivité de la proximité et de la diversité de ses communes et de ses cantons. Mais la diversité implique la vertu de tolérance envers les solutions forcément inégales et pluralistes. La petitesse en soi n’est pas non plus un avantage si elle n’est pas accompagnée par l’ouverture au libre-échange et le respect de la liberté individuelle dans les affaires intérieures. Le non-centralisme doit donc commencer par le secteur privé, dont la sphère ne regarde aucun échelon de l’Etat, puis du bas vers le haut en commençant par le génie communal que Benjamin Constant avait décrit de manière louangeuse. Il est aussi possible de libéraliser par le haut, comme en Suisse en 1848 ou dans l’Union européenne avec les quatre libertés du traité de Rome, mais l’évolution des structures centrales incite à la retenue.
Dans sa communication, Victoria Curzon Price, professeur honoraire à l’Université de Genève et présidente du comité de l’Institut Libéral, a souligné que de nombreux citoyens préfèrent aujourd’hui l’autoritarisme à la diversité. Si ce n’était pas le cas, les grandes démocraties occidentales seraient beaucoup plus libérales. Or Friedrich Hayek avait observé le «fait étonnant» que l’ordre spontané est largement supérieur à l’organisation délibérée et à la planification de l’Etat pour les affaires humaines. Il ne s’agit pas là d’une affaire d’opinion ou de valeur, mais d’un fait: d’où le titre de l’ouvrage de Hayek La Présomption fatale, dans lequel il critique l’arrogance de penser pouvoir organiser la société d’en haut, ce qui ne peut pas fonctionner, comme l’a illustré l’effondrement du socialisme. Malgré la justesse de cette affirmation, la politique continue de pousser dans l’autre direction, que ce soit par exemple dans le domaine de la santé en Suisse, où une caisse maladie unique est censée mener à des «économies», ou dans celui de la fiscalité en Europe, où l’harmonisation de l’imposition des entreprises pour obtenir un «level playing field». Il n’est pourtant pas possible de bénéficier des effets de la concurrence sans concurrence.
Se pose en effet le problème essentiel de l’information, dispersée dans la société: une instance centrale est largement ignorante face à la somme des connaissances individuelles. Seules l’économie de marché et la société civile sont en mesure de mobiliser et de coordonner l’information contenue dans la tête de millions de personnes. C’est pourquoi l’ordre spontané fonctionne partout où il y a de la vie. Il permet non seulement d’utiliser l’information, mais de contrôler automatiquement les erreurs à travers la concurrence. L’ordre spontané permet aux meilleures solutions d’émerger, tandis que les décisions délibérées accumulent les erreurs. Pourquoi l’opinion publique préfère-t-elle néanmoins l’autorité à la liberté? Hayek avait observé la contradiction fondamentale entre les valeurs morales d’altruisme et de solidarité qui sont essentielles pour la survie dans le petit groupe, et les valeurs d’individualisme, de rationalité, de respect de la propriété privée et des contrats, de responsabilité personnelle qui sous-tendent le monde moderne. Les sociétés contemporaines ne savent pas pourquoi elles sont riches et, en donnant une importance démesurée à l’altruisme et à la solidarité en politique, tendent à détruire leur prospérité. En démocratie, la liberté de choix et la responsabilité individuelle sont remplacées par les décisions politiques.
Au vu de ces évolutions, peut-on rester optimiste? Oui, répond Victoria Curzon Price. D’une part, le fait que l’ordre spontané est supérieur à l’organisation délibérée peut facilement s’observer et conduit nécessairement à des progrès, même s’ils ne sont pas toujours linéaires. La mondialisation des échanges économiques, par exemple, n’est guère remise en cause, malgré la rhétorique politicienne. D’autre part, le processus peut être accéléré par l’éducation, la culture et la pensée.
Remise des prix du concours d’essai 2017
Encourager la réflexion sur l’idée de la liberté est précisément la raison d’être du concours d’essai annuel pour étudiants de l’Institut Libéral, qui alterne entre les trois langues du pays. Les participants étaient appelés cette année à disserter sur la question du centralisme et de la liberté. Le jury, composé de Léonard Burnand, d’Alphonse Crespo, de Fathi Derder, d’Olivier Meuwly et de Myret Zaki, a pu identifier sur la base d’évaluations anonymes trois lauréats méritoires parmi les nombreuses soumissions de toutes les universités de Suisse romande.
Le premier prix (1500 francs) a été décerné à Antoine Müller (Université de Lausanne, ci-contre au centre), qui a relevé dans son essai le paradoxe d’attribuer au libéralisme l’expansion des centres décisionnels internationaux ou encore le renforcement du pouvoir des Etats centraux. Or le libéralisme découle du primat de l’individu et de sa sphère de liberté. Une délégation de la liberté de choix ne peut être que minimale et proche pour éviter les erreurs.
Le deuxième prix (1000 francs) a été attribué à Florent Chevallier (Université de Genève), qui dans un survol historique a rappelé que le combat pour la liberté (non seulement au niveau intellectuel) doit être sans cesse renouvelé face aux assauts de la bureaucratie. La première des conséquences du centralisme est l’injustice, mais il nuit aussi à la productivité et à l’innovation; il s’inscrit à l’encontre des Lumières et de la révolution industrielle.
Le troisième prix (500 francs) est allé à Jennifer Burri (Université de Neuchâtel), qui a souligné dans son texte l’aliénation de l’individu qui provient de la centralisation et de l’éloignement des centres de décisions politiques. La législation devient ainsi inaccessible et incompréhensible. Le citoyen se sent alors insignifiant et incapable, tandis que le centralisme menace la représentativité. La seule liberté de se soumettre et d’obéir ne peut pas servir de légitimité suffisante du pouvoir.
Consulter les essais gagants :
Concours d’essai pour étudiants
L’Institut Libéral félicite les trois gagnants pour leurs excellentes contributions au débat et remercient tous les participants d’avoir pris part au concours.