«Pour bien comprendre la notion d’État, il convient d’envisager d’abord un cadre où celui-ci est absent.»
Anthony de Jasay
Anthony de Jasay naît en 1925 à Aba, un petit village hongrois près de Szekesfehervar. Après des études en agriculture à l’Université de Budapest, il fuit le pays en 1948 pour l’Autriche à l’arrivée au pouvoir des communistes. Il s’établit d’abord dans l’État du Burgenland, puis dans la région de Salzbourg, et vit modestement de travaux occasionnels. En 1950, il parvient à émigrer en Australie, à Perth. Il étudie les sciences économiques à l’Université d’Australie-Occidentale et obtient une bourse qui lui ouvre les portes de l’Université d’Oxford dès 1955.
La clarté de sa pensée et de son expression lui permet d’être nommé chargé de recherche au Nuffield College et ainsi de lui garantir une position de recherche durant les sept années suivantes. Il produit une longue série de travaux qui seront publiés dans les meilleurs journaux académiques. Insatisfait pat le climat plutôt conservateur d’Oxford, il interrompt sa carrière universitaire pour se lancer dans la finance. Il entre dans une banque d’investissement à Paris, puis se met à son compte. Son succès est tel qu’à partir de 1979 il prend sa retraite en Normandie où il vivra durant 40 ans comme homme de lettres avec sa femme Isabelle jusqu’à son décès le 23 janvier 2019. Il se consacre presque exclusivement aux questions de philosophie sociale et politique, malgré des troubles de la vue qui le rendront presque entièrement aveugle les dix dernières années de sa vie.
Sur la base d’une solide théorie du savoir, Anthony de Jasay tente de reformuler le libéralisme politique et économique. Pour lui, l’individu est en principe libre de son action, si ce n’est pour des exceptions bien fondées. Selon Jasay, le système social se fonde sur la propriété privée, les relations contractuelles volontaires, la responsabilité individuelle et la réputation personnelle basée sur la confiance mutuelle. Avec sa logique tranchante, il rejette les erreurs de raisonnement des philosophies politiques qui considèrent l’État comme une instance omnisciente et nécessaire pour mettre en œuvre un vague «intérêt public», une «justice sociale» mal définie ou de présumés «besoins justifiables».
Malgré une maladie qui a de plus en plus limité sa capacité de travail, Anthony de Jasay nous lègue d’innombrables essais et surtout une douzaine d’ouvrages de référence. La plupart de ses livres ont été traduits en langues étrangères. Parmi les plus importants, nous pouvons citer «The State» (1985, traduit en français sous le titre «L’État: la logique du pouvoir politique» aux Belles Lettres en 1994), «Choice, Contract, Consent» (1991), «Againt Politicics» (1997), «Justice and Surroundings» (2002) ou «Political Economy, Precisely. Essays on Policy that Does not Work, and Market that Do» (2009).
Bien qu’il ait été fréquemment ignoré par les milieux académiques internationaux, Anthony de Jasay appartient aux penseurs les plus innovants, intéressants et conséquents. Il appartient à ce petit groupe de grands philosophes qui ne se citent pas eux-mêmes ou ne reprennent les mêmes idées dans de nouveaux textes. La cohérence interne de ses idées, leur logique évidente, leur valeur scientifique, ainsi que la clarté de son expression sont restées inégalées. L’élégance d’Anthony de Jasay, son charme et son fin humour sont partout reconnus. Dans la mesure où l’humanité le permet, personne ne s’est jamais autant approché de l’idéal du «gentleman».
Kurt R. Leube
Pour en savoir plus sur l’œuvre d’Anthony de Jasay :
Site web d’Anthony de Jasay