Quel libéralisme pour l’après-crise et quels défis pour la liberté en 2021 ? C’est pour se pencher sur ces questions que s’est tenue la Journée libérale romande, à l’initiative de l’Institut Libéral et du Cercle démocratique de Lausanne, le 2 octobre, à Lausanne.
Dans une première intervention, Mark Schelker, professeur d’économie publique à l’Université de Fribourg, s’est intéressé à la critique faite au fédéralisme durant la crise. Selon les médias, durant une crise, le fédéralisme ne marche pas, et il ne permet pas de lutter efficacement contre une pandémie. Mark Schelker remet en question cette analyse. Pour lui, ces affirmations se basent trop souvent sur des opinions, et non des faits.
Avant de s’intéresser au cas concret du Covid-19, il est revenu sur les bases théoriques du fédéralisme. En rappelant que le fédéralisme est une architecture d’État qui décentralise la prise de décision, pas forcément la gestion. Ainsi, le fédéralisme permet de prendre les bonnes décisions, au bon échelon. Les informations sont souvent localisées, ce qui rend les décisions à une échelle décentralisée plus pertinentes. Par ailleurs, vu qu’il permet de comparer les différents cantons, le fédéralisme encourage le fait de «voter avec ses pieds» en cas de mécontentement.
Un décideur politique centralisé n’a pas d’incitation à prendre des mesures différenciées qui correspondent aux besoins de chaque région du pays. Les monopoles ne donnent pas de bonnes motivations. Le fédéralisme met les décideurs en concurrence, ce qui responsabilise les élus. Car la performance d’un canton est comparable avec celle d’un autre. Ce qui incite les élus à bien faire leur travail, en vue de la prochaine élection.
Il existe des conditions préalables au bon fonctionnement du fédéralisme. Premièrement, l’existence d’une congruence institutionnelle, soit une unité institutionnelle qui lie compétence et responsabilité. Secondement, il est nécessaire d’appliquer l’équivalence fiscale. Soit le fait que si un canton a une dépense à faire, il doit pouvoir la financer avec ses propres recettes.
Le fédéralisme peut poser problème durant une crise exceptionnelle comme le Covid, car durant cette période de crise, la répartition des compétences et des responsabilités reste floue et le financement des mesures spéciales n’est pas clair. Souvent la Confédération décrète et les cantons doivent (co-)payer, sans pouvoir décider. Par ailleurs, les cantons coordonnent leurs mesures par le biais des conférences cantonales, ce qui réduit la concurrence entre les cantons et la possibilité d’observer des approches de gestion différentes. Ce qui est dommage, car le virus n’a pas touché de façon uniforme les différentes régions du pays. En résumé, durant la crise, les cantons ont souvent choisi l’imitation (comportement de troupeau) au lieu de la compétition. Ce qui a mené à peu d’expériences politiques, moins d’apprentissage en cas d’erreur et de fait, à moins de réussite dans la lutte contre la maladie. Dans un contexte d’incertitude comme celui d’une crise, le fédéralisme permet de tester différentes approches, ce qui mène à une diminution de l’impact des erreurs. Une erreur locale est moins grave qu’une erreur nationale, car elle impacte moins de personnes et peut être rapidement modifiée, grâce à la proximité du terrain.
Toutefois, durant une crise, certaines tâches sont pertinentes à une échelle nationale, quand d’importantes économies d’échelle existent. C’est par exemple le cas pour l’achat de vaccins. Toutefois, en général, il est sensé de maintenir les structures du fédéralisme également durant une crise.
Pour remédier aux dérives observées ces dernières années et durant la crise, il faut que le fédéralisme fixe à nouveau les compétences et les responsabilités au «bon niveau». Il s’agit de remettre l’accent sur la mise en place d’un cadre institutionnel qui encourage la congruence institutionnelle et l’équivalence fiscale. Un nettoyage régulier des tâches centralisées doit être effectué, pour éviter que des missions soient fixées à des niveaux non adéquats. Par ailleurs, on peut compter sur la démocratie directe comme frein à la centralisation.
Finalement, Mark Schelker est revenu sur quelques évidences empiriques. En résumé le fédéralisme :
- assure une concurrence entre les juridictions
- assure une limitation du pouvoir des juridictions par la mobilité des citoyen(ne)s
- incite à une utilisation efficace des ressources
- incite à prendre en compte les préférences des citoyen(ne)s
- réduit la taille de l’État
- peut limiter la redistribution des revenus
Une deuxième intervention assurée par Alexandre Curchod, avocat au barreau et chargé de cours à l’Université de Fribourg, a clôturé la matinée. Elle a porté sur la liberté d’expression. L’intervenant a commencé par un constat : la liberté d’expression est malmenée. Elle fait face à des défis, à l’ère de la post-vérité et de la culture de l’annulation (cancel culture).
Dans sa présentation, il est revenu dans un premier temps sur le concept de liberté d’expression qui existe aujourd’hui en Occident. Rappelant que la liberté d’expression est née sous les Lumières. Elle est encadrée par la loi, donc davantage par la raison, que par la passion, qui peut s’avérer dangereuse. Les libertés d’opinion et d’information sont en principe garanties. Certaines limites existent, mais sont prévues par la loi. La liberté d’expression actuelle est libérale, en ce sens qu’elle permet également l’expression des opinions qui choquent et de celles qui s’attaquent au pouvoir.
La liberté d’expression est aujourd’hui attaquée. Si de manière générale dans l’histoire, les artistes et les journalistes craignaient l’État et sa censure, aujourd’hui la pression vient de la société elle-même. Tout d’abord, suite aux attaques terroristes, une certaine auto-censure a vu le jour. De plus, le développement d’internet a favorisé l’explosion des formats courts, d’une tendance à l’indignation exacerbée parmi certains mouvements activistes et des discours binaires. La raison se voit effacée au profit de l’émotion et du ressenti.
Il s’agit désormais de faire face en redonnant une place importante à l’expertise dans les débats et en sortant du relativisme. Il faut refuser d’être tolérant avec ces tendances intolérantes. Pour l’intervenant, cette thématique dépasse les clivages politiques et doit intéresser toute la société. L’auteur de «Liberté d’expression : guide juridique pratique et perspectives» a terminé sa présentation en appelant à défendre la pensée complexe, malgré les difficultés actuelles.
En début d’après-midi François Facchini professeur de sciences économiques au Centre d’économie de la Sorbonne, à l’Université de Paris Panthéon-Sorbonne a abordé la thématique de «L’argent magique ou la démultiplication de la fausse monnaie». Dans un premier temps, en replaçant l’argent magique dans l’histoire longue de la fausse monnaie, il a rappelé pourquoi, contrairement à ce qui est affirmé parfois, l’argent «magique» existe bel et bien. Il a pris différentes formes dans l’histoire des monnaies. Ces fausses monnaies commencent en effet avec le seigneuriage des garants du poids en or et se généralisent avec les régimes de réserves fractionnaires. Ces fausses monnaies se développent toujours pour la même raison. Elles servent les intérêts des banquiers et des États. Les banques vivent du crédit. Les États ont toujours besoin d’argent pour financer hier leurs dépenses de guerre et aujourd’hui leurs dépenses de santé, d’éducation, etc. L’usage de l’argent magique n’est pas, cependant, sans conséquence. L’argent magique i) crée un risque d’inflation, ii) fragilise le système financier et mettant en place un modèle de croissance à crédit, iii) creuse les inégalités entre ceux qui ont accès aux crédits et qui peuvent profiter de la survalorisation des titres sur les marchés actions et les autres et iv) multiplie les entreprises zombies. Ce qui crée les conditions d’une croissance atone et d’une instabilité sociale et politique.
En guise de conclusion, François Facchini a confirmé qu’il était juste de dire, dans ces conditions, que l’argent magique est tragique. Au pire, il conduit à l’effondrement et au mieux à une croissance atone, comme l’a expérimentée le Japon. Pour remédier à cette situation, plusieurs pistes de solutions ont été listées. Parmi elles, le retour de l’étalon or, une plus grande concurrence entre les monnaies ou encore l’arrivée de monnaies numériques.
Enfin, la Journée libérale romande s’est terminée avec une discussion sur le thème «Quel libéralisme pour l’après-Covid ?». L’échange entre Olivier Meuwly, vice-président du Cercle démocratique de Lausanne et Loic Hautier, membre du comité de l’Institut Libéral fut l’occasion de revenir sur la crise et ses conséquences pour le futur. Loic Hautier s’est inquiété du précédent dangereux que représente l’introduction d’un certificat sanitaire et de la tension croissante présente parmi les citoyens.
De son côté, Olivier Meuwly a défendu l’idée que durant une crise de cette ampleur, l’État devait prendre des décisions et avait le devoir de préserver la santé des citoyens, et qu’il fallait se concentrer sur l’après-crise et s’assurer que les libertés concédées reviennent.
Dans l’ensemble, la Journée libérale romande 2021 a montré que les défis pour l’après-crise sont nombreux et que la liberté devra être défendue. Au vu des nombreuses questions et discussions, ce premier événement physique organisé par l’Institut Libéral après près de deux années de crise, laisse supposer que dans le monde d’après, la liberté continue d’intéresser la population. D’autres événements à venir viendront répondre à cette demande.