Les faits montrent que nous sommes plus riches, en meilleure santé, mieux nourris, mieux éduqués et même plus humanistes que jamais.
Essayez d’imaginer le scénario suivant. Nous sommes en 1723 et vous êtes invité à dîner dans une campagne bucolique de la Nouvelle-Angleterre, préservée des ravages de la révolution industrielle. Vous y rencontrez une famille de colons qui ont quitté l’Angleterre pour commencer une nouvelle vie en Amérique du Nord. Le père, les muscles saillants après une vigoureuse journée de travail à la ferme, est assis en bout de table et lit la Bible. Sa belle épouse, vêtue d’une tenue traditionnelle, termine la préparation d’un savoureux ragoût. Le fils, un solide gaillard de 17 ans, revient d’une promenade à cheval revigorante, tandis que la fille, âgée de 12 ans, joue avec ses poupées. Hormis les stéréotypes de genre désuets, comment ne pas aimer cette description de l’époque ?
Cette description idéalisée de la vie préindustrielle est facilement reconnaissable pour quiconque est familier de la littérature romantique ou de films tels qu’Autant en emporte le vent ou la trilogie du Seigneur des anneaux. En revanche, si le but est de décrire la réalité, cette description est dénuée d’intérêt, car elle est fausse et absurde. En réalité, à cette époque, le père de famille décrit souffre probablement de douleurs atroces et chroniques dues à des décennies de dur labeur. Quant à sa femme, ses poumons, détruits par des années de pollution intérieure, lui font cracher du sang. Rapidement, elle en mourra. La fille, dont la famille est trop pauvre pour s’offrir une dot, passera sa vie seule, rejetée par ses pairs. Et le fils, qui a récemment rendu visite à une prostituée, souffre d’un mal mystérieux qui le rendra aveugle sous cinq ans et le tuera avant qu’il n’ait 30 ans.
Pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, la vie était difficile pour la plupart des gens. Ils manquaient de médicaments de base et mouraient relativement jeunes. Il n’y avait pas d’analgésiques et les personnes atteintes d’une maladie passaient une grande partie de leur vie à souffrir atrocement. Des familles entières vivaient dans des habitations infestées d’insectes qui n’offraient ni confort ni intimité. Ils travaillaient dans les champs du lever au coucher du soleil, et malgré cela, la faim et les famines étaient fréquentes. Les moyens de transport étaient primitifs et la plupart des gens ne voyageaient jamais au-delà de leur village natal ou des villes les plus proches. L’ignorance et l’analphabétisme étaient monnaie courante. Le «bon vieux temps» était, dans l’ensemble, extrêmement pénible pour la grande majorité de l’humanité. Depuis, l’humanité a fait d’énormes progrès, en particulier au cours des deux derniers siècles.
Quelle est l’ampleur de ces progrès ?
L’espérance de vie avant l’ère moderne – qui dure depuis environ 200 ans – se situait entre 25 et 30 ans. Aujourd’hui, la moyenne mondiale est de 73 ans. Elle est de 78 ans aux États-Unis et de 85 ans à Hong Kong. Au milieu du 18ème siècle, 40 % des enfants mouraient avant leur 15ème anniversaire en Suède et 50 % en Bavière. Ce n’était pas inhabituel. La mortalité infantile moyenne chez les chasseurs-cueilleurs était de 49 %. Aujourd’hui, la mortalité infantile mondiale est de 4 %, et même de 0,3 % dans les pays nordiques ainsi qu’au Japon.
La plupart des personnes qui survivaient jusqu’à l’âge adulte vivaient avec l’équivalent de 2 dollars par jour, un état permanent de privation qui a duré depuis le début de la révolution agricole, il y a 10’000 ans, jusqu’aux années 1800. Aujourd’hui, la moyenne mondiale ajustée à l’inflation est de 35 dollars. En d’autres termes, l’habitant moyen de la planète est 18 fois mieux loti.
L’augmentation des revenus s’est accompagnée d’une réduction massive de la pauvreté absolue, qui est passée de 90 % au début du XIXème siècle à 40 % en 1980 et à moins de 10 % aujourd’hui. Comme le soulignent les chercheurs de la Brookings Institution, «une réduction de la pauvreté d’une telle ampleur est sans précédent dans l’histoire».
La pauvreté absolue était aussi synonyme d’insécurité alimentaire. Jadis, les famines étaient courantes, et la consommation alimentaire moyenne en France n’a atteint 2’000 calories par personne et par jour que dans les années 1820. Aujourd’hui, la moyenne mondiale approche les 3’000 calories et l’obésité est un problème croissant, même en Afrique subsaharienne.
En 1820, près de 90 % de la population mondiale était analphabète. Aujourd’hui, plus de 90 % de l’humanité est alphabétisée. En 1870, la durée totale moyenne de la scolarité pour les personnes âgées de 24 à 65 ans était de 0,5 an. Aujourd’hui, elle est de neuf ans.
Ces quelques éléments listés ci-dessus sont essentiels pour chaque humain. Mais, la vie moderne nous offre également d’autres commodités, telles que les antibiotiques. Le fils du président Calvin Coolidge est mort d’une ampoule infectée, contractée alors qu’il jouait au tennis à la Maison Blanche en 1924. Quatre ans plus tard, Alexander Fleming découvrait la pénicilline. Ou encore l’air conditionné, qui a permis d’augmenter la productivité et donc le niveau de vie dans le Sud des États-Unis et qui a évité aux New-Yorkais de dormir dans les escaliers extérieurs pendant l’été pour se rafraîchir.
Jusqu’à présent, je me suis principalement concentré sur les améliorations matérielles. Le changement technologique, qui fait avancer le progrès matériel, est un phénomène à effet multiplicateur. Or, la prospérité sans précédent dont jouissent la plupart des gens aujourd’hui n’est pas l’aspect le plus remarquable de la vie moderne. Le plus extraordinaire, c’est l’amélioration progressive de la façon dont nous nous traitons les uns les autres et dont nous traitons le monde naturel qui nous entoure. Un fait d’autant plus remarquable que la nature humaine est en grande partie immuable.
Commençons par le plus évident. L’esclavage remonte à Sumer, une civilisation du Moyen-Orient qui s’est épanouie entre 4’500 et 1’900 ans avant Jésus-Christ. Au cours des 4’000 années qui ont suivi, toutes les civilisations ont, à un moment ou à un autre, pratiqué l’esclavage. Aujourd’hui, il est interdit dans la plupart des pays du monde.
Dans la Grèce antique et dans de nombreuses autres cultures, les femmes étaient la propriété des hommes. Elles étaient délibérément enfermées et maintenues dans l’ignorance. Et s’il est vrai que le statut des femmes a beaucoup varié au cours de l’histoire, ce n’est qu’en 1893, en Nouvelle-Zélande, que les femmes ont obtenu le droit de vote. Aujourd’hui, le seul endroit où les femmes n’ont pas le droit de vote sont les théocraties et les dictatures.
Il en va de même pour les gays et les lesbiennes. C’est un mythe de croire que l’égalité dont jouissent aujourd’hui les gays et les lesbiennes en Occident n’est qu’un retour à un passé ancien et heureux. Les Grecs toléraient (et réglementaient fortement) les rencontres sexuelles entre hommes, mais le lesbianisme (les femmes étant la propriété des hommes) était inacceptable. Il en allait de même pour les relations entre hommes adultes. En fin de compte, tous les hommes devaient se marier et faire des enfants pour les besoins de l’armée.
De même, il est erroné de créer une opposition entre les hommes et les femmes. La plupart des hommes de l’histoire n’ont jamais eu de pouvoir politique. Les États-Unis ont été le premier pays au monde où la plupart des hommes libres ont pu voter au début des années 1800. Avant cela, les hommes formaient le gros de la paysannerie opprimée, dont le travail consistait à nourrir les aristocrates et à mourir dans leurs guerres.
Aussi étrange que cela puisse paraître, compte tenu de la barbarie russe en Ukraine et de celle du Hamas, les données suggèrent que les hommes sont plus pacifiques que par le passé. Il y a 500 ans, les grandes puissances étaient en guerre 100 % du temps. Chaque printemps, les armées se déplaçaient, envahissaient le territoire du voisin et se battaient jusqu’à l’hiver qui suivait. La guerre était la norme. Aujourd’hui, c’est la paix. En fait, cette année marque les 70 ans de la dernière guerre entre grandes puissances. Aucune période de paix comparable n’existe dans l’histoire.
Les homicides sont également en baisse. À l’époque de Léonard de Vinci, quelque 73 Italiens sur 100’000 pouvaient s’attendre à être assassinés au cours de leur vie. Aujourd’hui, ce chiffre est inférieur à un. Un phénomène similaire peut être observé en Belgique, aux Pays-Bas, en Suisse, en Allemagne, dans les pays scandinaves et dans bien d’autres régions du monde.
Comme l’a documenté Steven Pinker de l’Université de Harvard, les sacrifices humains, le cannibalisme, les harems, les duels, les brûlages d’hérétiques et de sorcières, les tortures et exécutions publiques, les infanticides, ont tous disparu ou ne subsistent que dans les pires endroits arriérés de la planète.
Et enfin, nous sommes aussi plus attentifs aux non humains. Faire descendre des chats dans un feu pour les entendre crier était un spectacle populaire dans le Paris du XVIème siècle. Il en va de même pour le «bearbaiting», un sport sanguinaire au cours duquel un ours enchaîné et un ou plusieurs chiens étaient forcés de se battre. Quant aux chiens, certains servaient à réchauffer les pieds, tandis que d’autres étaient élevés pour courir sur une roue, appelée tournebroche ou roue à chien, afin de retourner la viande dans la cuisine. La chasse à la baleine était également courante.
De très nombreuses preuves issues de toutes les disciplines universitaires montrent clairement que nous sommes plus riches, que nous vivons plus longtemps, que nous sommes mieux nourris et que nous sommes mieux éduqués que jamais. Et, par-dessus tout, nous sommes plus humanistes. Par conséquent, ma conclusion est simple : nous vivons la meilleure époque qui soit.
Marian L. Tupy est Senior Fellow au Center for Global Liberty and Prosperity de l’Institut Cato et rédacteur en chef de HumanProgress.org. Cette contribution est une traduction d’un texte publié en anglais.