Dans un environnement où l’État dépense chaque année davantage, mais où la propagande officielle des processus budgétaires laisse supposer des «économies», voire des «caisses vides», le postulat de l’État svelte semble bien lointain. La Suisse est relativement moins fiscalement opprimée que ses grands voisins, mais Genève et la Suisse romande, en particulier, ne font pas figure de modèles. De plus, au niveau national, les paramètres de la prévoyance étatisée et la nouvelle politique énergétique annoncent une nouvelle hausse de la charge fiscale. La conférence de l’Institut Libéral du 20 mars s’est penchée sur les limites à poser à la fiscalisation croissante de la société.
Dans son introduction, Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral, a relevé que les recettes fiscales augmentent constamment de façon surproportionnelle non seulement en raison de la progressivité de l’impôt, mais aussi de l’augmentation de la productivité et donc des revenus dans le secteur privé, et de l’accroissement de la population. Or ces recettes sont typiquement dissipées à travers les hausses de budget des collectivités publiques. Le frein à l’endettement, dans certains cantons et au niveau fédéral, a pu enrayer la spirale déficitaire, mais il manque un ajustement des taux à la baisse pour éviter le gonflement continu de l’État. Cela soulève des questions d’équité et de justice, afin de mieux protéger la propriété individuelle et de moins entraver la croissance économique.
Dans une première intervention, Charles Lassauce, membre de la direction de la Chambre de commerce, d’industrie et des services de Genève, a montré que le canton de Genève souffre effectivement d’une crise de dépenses: malgré une modification du taux effectif en 2008, les recettes ont atteint un nouveau record quatre ans plus tard. Les collectivités publiques genevoises dépensent 59% de plus par habitant que Zurich et 39% de plus que Vaud, par exemple. Il n’y a aucun démantèlement, ni cure d’austérité, contrairement à ce qui est prétendu dans le débat public. De plus, le canton occupe la première place peu enviable en matière de l’ampleur et des salaires de la fonction publique. Du côté du fardeau fiscal, la situation est tout aussi préoccupante: Genève impose une charge par habitant 79% plus élevée que Zurich et 36% plus élevée que Vaud, alors que plus d’un tiers des personnes ne paie aucun impôt. La structure des contribuables s’en trouve fragilisée : 0,6% des contribuables paie 18% de l’impôt, tandis qu’à l’inverse 39% d’entre eux paient 3% de l’impôt. Malgré la forte charge fiscale, les collectivités ne sont même pas en mesure de s’autofinancer et il n’y a aucune volonté politique de réduire la dette.
Vers la brochure fiscale de la CCIG :
«Finances publiques et fiscalité: des enjeux majeurs pour l’avenir de Genève»
Face à une telle évolution, peut-il y avoir un système fiscal plus incitatif? L’avocat-fiscaliste Jean-Philippe Delsol, président de l’Institut de Recherches Économiques et Fiscales, constate que la justice ne peut se mesurer qu’à l’aune du respect de la propriété de chacun, en fonction de la rétribution des échanges volontaires entre les personnes. Or le droit a été dénaturé par l’hybris du pouvoir: la législation s’oppose aujourd’hui aux libertés, à la place de rendre la justice. Le pouvoir s’est étendu au point de devenir ubiquiste; il s’est mué en «autorité de bienveillance», ce qui conduit généralement au despotisme. En considérant que la seule règle objective de justice est la propriété, la conduite de l’État en matière fiscale ne peut pas légitimement conduire à une spoliation, et donc priver l’individu de sa liberté et de sa responsabilité. Un moyen de restaurer un système fiscal plus équitable serait de passer à une imposition proportionnelle, c’est-à-dire à un taux unique. Celui-ci devrait être peu élevé, 15% au maximum, et ne pas pouvoir être augmenté en pénalisant des catégories de revenu et la mobilité sociale, mais s’appliquer à chacun de la même manière (moyennant une franchise suffisante ou un taux réduit, par exemple de 2%, pour une première tranche de revenu).
Enfin, Thierry Afschrift, avocat-fiscaliste et professeur de droit fiscal, représenté par le professeur Patricia Commun en raison d’une audience, a remis frontalement en question la pseudo-morale qui sert de justification à l’État illimité: un culte sacrificiel fondé sur la religion solidariste. Or la solidarité ou la générosité ne peuvent pas être légitimement contraintes. Sous des couverts de bien commun, d’intérêt général ou de services publics, l’État sous-entend qu’il dispose de l’ensemble des biens d’une société, qu’il peut redistribuer à sa guise par la force, en fonction des majorités, a priori sans limite. Cela contredit la création de richesses en vertu de la morale du libre marché, qui n’est pas un jeu à somme nulle, mais où chacun peut prospérer sans appauvrir les autres. La redistribution autoritaire par l’État, par contre, est opposée à toute idée de justice: elle se fonde sur la soumission de l’individu, considéré comme simple sujet de celui qui exerce le pouvoir, selon la loi du plus fort ou la loi du nombre. C’est également le cas en Suisse avec sa démocratie directe: les droits de la minorité, dont la plus petite est l’individu, ne sont plus protégés dans les systèmes sociaux-démocrates contemporains. Pour en sortir, il convient de faire confiance à l’homme libre et permettre à la générosité de s’exprimer au travers d’institutions volontaires.
Vers l’essai de Thierry Afschrift :
«La morale contestable de l’État redistributeur»
Dans la discussion, il est apparu que les limites à l’excès d’État pourront être posées avec une meilleure appréhension de ce qui constitue le droit, et une meilleure réalisation de l’inefficience et du gaspillage inhérents du secteur public, décrits par la loi de Wagner, sans nier qu’il existe des différences de qualité de la gouvernance publique, notamment grâce à la proximité des décisions. Il s’avère dès lors que l’État svelte est avant tout une question culturelle. Néanmoins, la question se pose aussi d’institutions analogues au frein à l’endettement, comme un frein à la quote-part de l’État, ainsi que d’une stratégie «starve the beast» (affamer le monstre), en adoptant un système fiscal plus compétitif, à l’instar d’un impôt proportionnel suffisamment bas, tout en abolissant les impôts particulièrement destructeurs, comme celui sur la fortune.