Le système de santé, sur lequel s’est penchée la Journée libérale romande 2016 le 26 novembre à Lausanne, préoccupe l’ensemble de la population, ne serait-ce du fait que la loi sur l’assurance-maladie (LAMal) oblige chaque résident à s’assurer selon des termes voulus en large partie par la politique. Or sous le régime de l’assurance obligatoire, ces termes ont conduit à une inflation de dépenses, qui ont crû deux fois plus vite en moyenne que les revenus et beaucoup plus vite également que le secteur de la santé dans son ensemble. La prime de base moyenne au niveau suisse aura passé de 173 francs par mois en 1996 à 447 francs en 2017. Au-delà des préférences et des facteurs connus comme le vieillissement et l’innovation médicale, le système de santé fait face aujourd’hui à une «tragédie des biens communs», qui à son tour conduit à une répression réglementaire toujours plus élaborée et qui inclut la bureaucratisation de la médecine, la surréglementation des assureurs, les planifications et les subventions dans le secteur hospitalier et, en parallèle, le subventionnement de plus en plus étendu des primes. Comment briser cette spirale et initier un cercle vertueux de liberté, de concurrence et de responsabilité?
Dans un premier exposé, Gilles Rufenacht, président de Genève-Cliniques et directeur de la Clinique des Grangettes, a observé que dans de nombreux secteurs de l’économie, la fin des monopoles a conduit à un plus grand choix de prestations, à des prix plus bas et à des services plus efficaces, par exemple dans les transports aériens ou les télécommunications. La concurrence mène en général à une meilleure qualité à un meilleur prix du fait des incitations à l’efficience et à l’innovation entrepreneuriale qui en découlent. Les hôpitaux privés vivent déjà cette culture au quotidien, orientés depuis toujours par la performance et la qualité des prestations fournies. C’est néanmoins plus compliqué pour les hôpitaux publics, qui seraient sensés également appliquer ces principes depuis la réforme de la LAMal de 2012 portant sur leur financement. Certains gouvernements cantonaux de Suisse romande détournent néanmoins l’application de cette réforme en protégeant les hôpitaux publics, généralement plus chers et moins concluants en qualité. Les politiques socialisantes et planificatrices entravent en parallèle le développement de la health valley lémanique en empêchant de nouvelles technologies pour des raisons de maîtrise des coûts. La concurrence fait peur, et le système coûte au final plus cher pour tout le monde, alors qu’une concurrence saine, sans protectionnisme, permettrait de restaurer l’harmonie du secteur hospitalier et de favoriser les coopérations.
Présentation de Gilles Rufenacht:
«La concurrence fait-elle peur aux autorités cantonales?» (7 pages, PDF)
L’assurance-maladie s’avère également surpolitisée, comme l’a montré Yves Cuendet, administrateur d’Helsana. Le principe d’une assurance veut que les risques soient partagés au sein d’une population; l’assurance sociale, en revanche, ne fonctionne pas selon les principes véritables d’une assurance, mais en fonction des réglementations. La LAMal impose des primes indépendamment des risques (le fumeur ne paie pas plus que le non-fumeur, par exemple), elle oblige l’assureur à contracter avec tous les prestataires et à rembourser toutes les prestations couvertes (selon un catalogue unique), même si celles-ci sont inutiles. L’étatisme cantonal, notamment dans le financement des hôpitaux, rend de surcroît le système très inefficient. Cela se traduit par une densité de l’offre beaucoup plus élevée que dans les pays qui nous entourent, et cette suroffre se traduit par une surconsommation. La loi permet certes une certaine marge de manœuvre, notamment l’octroi de rabais avec des modèles alternatifs et la concurrence entre assureurs, dont les gains d’efficience sont restitués aux assurés: ce sont des aspects positifs à préserver. Parmi les réformes pour contenir les coûts, les hôpitaux devraient être financer de façon homogène, facilitant ainsi les prises en charge intégrées. Le principe de territorialité devrait être supprimé; les prix administrés abrogés. Il s’agirait de renoncer par ailleurs à l’obligation de contracter et de renforcer le partenariat tarifaire, ainsi que de renforcer la responsabilité individuelle à travers des contrats de longue durée.
Présentation d’Yves Cuendet:
«Le dilemme de l’assurance maladie» (17 pages, PDF)
Durant les ateliers de réflexion, différents enjeux d’actualité ont été débattus. Lors du premier atelier, le docteur Alphonse Crespo, président de Médecine & Liberté, et le docteur Fabienne Gay-Crosier ont mis en évidence les dangers posés à la protection des données des patients à travers plusieurs projets statistiques, en particulier les modules ambulatoires des relevés sur la santé (Mars) de l’Office fédéral de la statistique et la création de la base de données Objective Evaluation and Leadership in Scientific Health Data Collection (Obelisc). Ces projets sont le reflet d’un passage d’une éthique médicale hippocratique de base, fondée sur l’anamnèse et le secret médical, à un système collectiviste de tiers-payant qui mène le réglementateur étatique à vouloir contrôler les actes des médecins à des fins tarifaires. La récolte statistique de données anonymisées pose des problèmes aussi bien éthiques que pratiques, par exemple quant à la sécurité informatique. L’art du soin implique que chaque médecin puisse faire appel à sa capacité de juger et d’évaluer moralement une situation diagnostique dans son ensemble; il ne peut se limiter à la seule compétence technique. La transparence ne justifie pas une mise sous tutelle imposée, mais doit procéder d’une démonstration, avec l’accord du patient, que les interactions médicales sont pertinentes et utiles et remplissent au mieux le mandat du patient. Les recommandations de bonnes pratiques ne sauraient non plus devenir des obligations légales en contradiction avec le jugement médical.
Lors du deuxième atelier, le docteur Olivier Marmy, vice-président de la Société suisse des médecins-dentistes, a démontré la place de la responsabilité dans le système de santé par le cas d’école de la médecine dentaire, fondée sur l’interaction directe entre le médecin et le patient, sans tiers-payant. Au plan légal, la primauté de la responsabilité individuelle prévaut, dans la mesure où seuls les soins dentaires découlant d’une maladie grave et non évitable sont pris en charge par l’assurance sociale. Les résultats au niveau de la prévention parlent pour eux-mêmes: sur un demi-siècle, l’occurrence de caries chez les enfants de 12 ans a diminué de 90%. La responsabilité et l’évitabilité de la maladie font des patients des codécideurs, avec le praticien, dans la définition des objectifs et du plan de traitement. Le médecin-dentiste a par ailleurs la responsabilité entrepreneuriale de maintenir la pérennité de son cabinet dans un contexte très concurrentiel. Sur vingt ans, les coûts de la médecine dentaire sont restés stables et ont évolué à un rythme inférieur à celui des revenus des ménages, ce qui contraste fortement avec l’évolution des autres coûts de la santé. La responsabilité des deux parties évite l’aléa moral de l’absence d’incitation à dépenser avec parcimonie. Lorsque les coûts sont pris en charge par un tiers, les patients n’ont pas d’incitation à limiter leur consommation à un niveau efficient, de même que les fournisseurs de prestations ont tendance à prescrire de nombreux traitements onéreux et superflus, évalués à un quart des actes médicaux.
Présentation du Dr Olivier Marmy:
«Médecine dentaire: un cas d’école» (31 pages, PDF)
Dans le troisième atelier conclusif, Jean-Hugues Busslinger, directeur du département de la politique générale du Centre Patronal, a relevé le problème fondamental de l’assurance maladie, qui a passé d’un devoir et d’un intérêt à un «droit» du fait de l’obligation de s’assurer: l’obligation de s’assurer et de contracter, le catalogue de soins extensif et le financement hospitalier contesté sont à la base de l’explosion des dépenses. Les incitatifs à se prendre en charge ont été trop souvent affaiblis. Dans certains cantons romands, on observe une volonté politique méthodique de mise sous tutelle étatique du système de santé, contre la volonté du législateur. La mise en réseau des établissements dérive volontairement vers leur intégration politisée, et les hôpitaux publics sont subventionnés au nom de «prestations d’intérêt général». Le docteur Laurent Seravalli a pour sa part comparé le système de santé à un jeu d’adresse et d’équilibre qui ne se laisse pas gérer par la contrainte, mais par l’alignement des différentes parties qui le compose. La Mayo Clinic aux États-Unis, une organisation privée sans but lucratif dédiée aux besoins du patient avant tout, montre qu’un autre type de gestion est possible. Avec 1,3 million de clients provenant de 150 pays, des revenus de plus de 10 milliards de dollars, un bénéfice net (réinvesti dans la recherche et la formation) de 526 millions de dollars et 64.000 collaborateurs, Mayo Clinic se distingue par son mode de rétribution du personnel médical: les médecins perçoivent leur salaire indépendamment du volume de patients, sans avoir à se soucier du nombre d’actes et d’opérations.
Dans l’ensemble, la Journée libérale romande a abouti à la conclusion que la responsabilité morale de compassion et l’éthique médicale étaient mieux servies dans un système privé de responsabilité mutuelle des prestataires et des patients que dans le système politisé et collectivisé de la LAMal et de l’étatisme cantonal. Le système de santé est beaucoup trop complexe et important pour être abandonné à l’illusion de la gratuité et à l’inefficience inhérente d’un secteur public subventionné. Une piste de financement pour l’avenir consisterait à passer à un système d’épargne-santé complémenté par une véritable assurance pour les grands risques. Dans le système actuel, l’autonomie économique des hôpitaux et des autres prestataires en concurrence, de meilleures incitations par des franchises minimales et des quotes-parts plus élevées, ainsi qu’une libéralisation de l’assurance vers des contrats plus diversifiés selon les préférences et les besoins individuels pourraient représenter des issues praticables.