La notion d’«immigration de marché» fait référence à une gestion de l’immigration par le libre marché plutôt que par le biais de l’État. L’immigration de marché ne signifie pas que tout le monde a le droit d’immigrer et de s’installer sur le terrain de son choix. La condition pour s’établir dans un marché libre est que cela soit dans l’intérêt des citoyens résidents. La preuve de cet intérêt est apportée par la conclusion volontaire de contrats avec les immigrants. Concrètement, seules les personnes qui obtiennent un logement de la part d’un propriétaire résident, que ce soit sous la forme d’un contrat de location ou d’achat, peuvent s’installer.
Une autre condition pour l’immigration de marché est que l’immigrant puisse présenter un contrat de travail valable ou fonder lui-même une entreprise sur place en tant qu’entrepreneur afin d’être économiquement autonome. Ou alors, il se peut qu’il ait déjà accumulé suffisamment de patrimoine à l’étranger pour ne pas avoir besoin de travailler pour gagner sa vie. Cela n’a pas d’importance tant que l’immigrant n’est pas une charge pour autrui.
Un système d’immigration de marché et l’aide humanitaire ne s’excluent pas mutuellement. Il est bien sûr possible d’accueillir des réfugiés, pour autant qu’il y ait des personnes ou des organisations qui se portent garantes de ces individus, leur offrent un lieu de vie et les moyens financiers de subvenir à leurs besoins. Cela doit se faire sur une base volontaire et dans le respect des droits de propriété et ne doit pas impliquer de contrainte étatique. Un système dans lequel l’État accueille des personnes du monde entier et les intègre de force dans une société n’est pas compatible avec un système basé sur la liberté. L’immigration de marché repose toujours sur les souhaits tant des immigrés que des résidents, et non sur des critères étatiques.
L’immigration de marché entraîne une augmentation de la concurrence à la fois au niveau de l’offre et sur le marché du travail. Cela a pour effet que les prestations des entreprises et des travailleurs ont tendance à s’améliorer, ce qui conduit à une meilleure satisfaction des besoins en termes de qualité et à un coût moins élevé. Les habitants du pays et les immigrés profitent tous deux de cette augmentation du niveau de vie. Les uns comme les autres bénéficient du fait que leur salaire leur permet d’acquérir davantage de produits ou des produits de meilleure qualité qui, en fin de compte, améliorent leur vie et la rendent plus confortable.
L’immigration augmente la demande de services tels que l’éducation, la santé ou les transports. La construction et l’exploitation d’infrastructures telles que des écoles, des hôpitaux ou des entreprises de transport créent de nouveaux emplois pour répondre à ces besoins – et donc de nouveaux revenus qui peuvent à leur tour être dépensés pour satisfaire des besoins supplémentaires et permettre une augmentation de la prospérité pour toute la société. En effet, entre 2002 et 2019, le taux d’activité en Suisse est passé de 70,6% à 72,6% en équivalents temps plein, et même de 65,9% à 76,0% pour les travailleurs âgés de 55 ans et plus, ce qui réfute clairement la thèse d’un effet d’éviction sur le marché du travail. Le système de liberté de circulation, à condition d’avoir un contrat de travail, en Europe doit donc être analysé de manière différenciée. Ses faiblesses réglementaires sont connues. La multiplication de conventions collectives de travail rend le marché du travail moins flexible et libre. Mais ce n’est pas une fatalité, c’est un problème que nous avons la possibilité de corriger. Ces défauts doivent être distingués du principe de la migration libre basée sur des mécanismes de marché.
L’immigration crée donc aussi des emplois et ne conduit pas simplement à ce que les travailleurs actuels se voient «prendre» leur poste. L’économie n’est pas un gâteau fixe avec un nombre figé d’emplois qu’il suffirait de partager, comme l’imaginent certains penseurs favorables à une économie planifiée. Ce serait tout au plus le cas dans l’hypothèse irréaliste où tous les individus auraient constamment les mêmes besoins tout au long de leur vie, se contenteraient d’un niveau de vie absolument minimal et que le nombre d’individus resterait constant. Mais les besoins humains ne sont ni constants ni finis. Ils sont au contraire variés et hétéroclites. Non seulement ils changent d’une personne à l’autre et au fil du temps, mais ils sont à proprement parler inépuisables et infinis. Même si l’on arrivait au point où tous les besoins de tous les êtres humains seraient satisfaits d’une manière ou d’une autre, il y aurait toujours des possibilités de les satisfaire mieux, plus rapidement, de manière plus conviviale et plus respectueuse de l’environnement. Il y a donc toujours des raisons d’améliorer les choses et donc de créer de nouveaux emplois.
Il n’y a aucune raison de craindre l’immigration de marché. Au contraire, l’immigration peut être considérée comme une chance : ce sont de nouvelles personnes avec de nouveaux besoins qui veulent être satisfaits et qui créent ainsi de nouveaux emplois. Il serait bien sûr erroné de déléguer à l’État la satisfaction de ces besoins – même dans le domaine de la santé, de l’éducation et de l’infrastructure, car là où l’État prend les commandes, les coûts explosent à coup sûr, et la qualité diminue. En fin de compte, les meilleures solutions pour toutes les parties concernées apparaissent lorsque la liberté de choix et les droits de propriété sont garantis, afin qu’une concurrence loyale puisse s’instaurer pour obtenir les faveurs des clients. La réponse aux «trains bondés» ou à la «pénurie de logements» ne réside donc pas dans un soutien supplémentaire de l’État aux transports publics ou à la construction de nouveaux logements sociaux, mais dans la libéralisation des secteurs qui sont aujourd’hui entre les mains de l’État ou qui sont régulés par celui-ci.
Par conséquent, dans un système plus libre, malgré le besoin supplémentaire d’infrastructures, les impôts pourront être réduits pour tous, dans la mesure où le substrat fiscal augmentera grâce aux revenus supplémentaires, de sorte que la charge par habitant diminuera. Malheureusement, la Suisse laisse actuellement passer cette chance en raison de l’avidité sans limite de la bureaucratie étatique, du gonflement de l’appareil d’État et des automatismes d’un État social qui a besoin d’être réformé et qui coûte aux contribuables des sommes toujours plus importantes. Cette expansion étatique problématique n’est toutefois pas une loi de la nature, mais bien la conséquence d’une approche étatiste irresponsable. Ce n’est pas l’immigration qui est à blâmer, mais l’absence d’une réglementation adéquate.
L’immigration de marché signifie que l’immigration productive n’est pas empêchée par l’État et que l’immigration – souhaitée par les résidents – devient possible. Cette migration augmente intrinsèquement la prospérité du pays d’accueil, tandis que les dirigeants du pays d’où les gens partent sont encouragés à améliorer leur régime politique afin de convaincre les émigrants de rester. En fin de compte, cela profite également à l’ensemble de la population de ce pays, car leur État devient plus performant en raison de la menace d’émigration. La liberté de contracter des contrats de travail devrait donc être maintenue et étendue au reste du monde, dans des conditions raisonnables.
Olivier Kessler est directeur de l’Institut Libéral