Dans le cadre de la journée du 1er mai, l’émission Infrarouge (RTS) a organisé un débat intitulé «1er mai : faut-il encore fêter le travail ?». Parmi les invités, notre directeur adjoint, Nicolas Jutzet, a défendu l’idée que davantage d’intervention étatique était la mauvaise solution face à la baisse des salaires.
L’office fédéral de la statistique (OFS) a récemment communiqué qu’en 2023, malgré une augmentation moyenne de 1,7% par rapport à 2022, une fois corrigé de l’inflation, les salaires ont légèrement baissé (-0,4%). C’est la troisième année consécutive de recul des salaires réels. Cette situation s’explique par différents facteurs conjoncturels, tels que le ralentissement de l’économie allemande et les perturbations persistantes issues de la pandémie. Pourtant, en regardant le temps long, on s’aperçoit qu’il s’agit d’un phénomène rare. Depuis 1942, qui marque le début de l’indice suisse des salaires (ISS), ce n’est que la seizième fois que les salaires réels baissent en Suisse.
La Suisse est la championne du «revenu disponible»
En plus d’être inhabituelle, ce recul des salaires réels n’est de loin pas une spécificité suisse. Dans l’Union européenne, le salaire réel a baissé de 0.7 en 2023. Une chute plus prononcée que dans notre pays. Si cette baisse est regrettable, elle s’inscrit dans un contexte général de long-terme favorable. L’OFS indique, dans la dernière enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC) que la population suisse affiche le niveau de satisfaction quant à sa vie actuelle le plus élevé d’Europe. L’enquête s’intéresse au niveau de vie des populations de différents pays, à l’aide du «revenu disponible équivalent médian», en tenant compte des différences de niveaux de prix entre les pays. Les auteurs indiquent que «malgré le niveau élevé des prix, la Suisse affiche un niveau de vie supérieur à celui des pays voisins et de la majorité des pays de l’UE». En comparaison internationale, la Suisse et son modèle encore plutôt libéral parviennent à des résultats bien plus enviables, notamment en termes de pouvoir d’achat, que les pays voisins aux États-providence boursouflés, et en fin de course.
Que faire pour que les salaires augmentent à nouveau ?
Une fois le constat établi, il s’agit d’esquisser des solutions pour remédier à cette baisse inquiétante du pouvoir d’achat des habitants du pays. En analysant plus précisément le revenu disponible des ménages en Suisse, on s’aperçoit qu’une des principales pistes est celle de faire baisser les différents prélèvements obligatoires étatiques, qui viennent grever le budget des ménages. L’indicateur RDI (Regional Disposable Income) permet de mieux comprendre les différences de pouvoir d’achat qui existent au sein de nos frontières. Le RDI a pour ambition de clarifier quelle région est la plus attractive financièrement en termes de revenu disponible, une fois toutes les dépenses obligatoires payées (impôts, cotisations, assurance maladie, loyer). Les cantons qui appliquent le moins de mesures étatistes s’en sortent mieux que ceux qui pensent que davantage d’Etat est une solution. Appenzell Rhodes-Intérieures, suivi d’Uri et de Glaris font la course en tête. Leur population a un pouvoir d’achat plus élevé que les autres. Au contraire, les cantons dominés par de grandes villes aux mains de partis collectivistes se retrouvent en fin de classement (Genève, Bâle, Vaud).
Une flat-tax pour remplacer l’imposition progressive
L’imposition est un autre facteur qui influence négativement le pouvoir d’achat des citoyens. Spécialement quand il est progressif, l’impôt sur le revenu prend le risque de décourager le travail, car l’effort supplémentaire perd en attractivité. Dans pareil système, il est légitime d’hésiter à vouloir progresser dans sa carrière, ou travailler plus, car la différence entre l’ancienne et la nouvelle rémunération se volatilise bien souvent sous forme d’impôt à payer. Par ailleurs, l’impôt progressif ouvre une grande bataille politique qui permet à la majorité de faire payer ses désirs à une minorité. Ce qui est parfaitement immoral. En supprimant la progressivité, pour la remplacer par une flat-tax, l’aspect arbitraire de la taxation disparaît, ainsi que les velléités de donner la facture de ses rêves politiques à son prochain.
Le secteur public ne connaît pas la crise
Dernier élément qui mérite notre attention : si les salaires réels baissent dans le pays, ce n’est pas le cas dans l’ensemble des secteurs. Certains s’en sortent même très bien. Alors que les salaires réels ont baissé en moyenne de 0.4 %, ils ont dans le même temps augmenté de 1.5 % dans l’administration publique. C’est un record, aucun autre secteur n’a autant progressé. Cette décorélation entre la rémunération des fonctionnaires et de l’économie privée n’est pas nouvelle. Dans une étude, Christoph Schaltegger et Patrick Eugster révèlent que si la Suisse comptait environ 58’000 employés de l’administration publique en 1995, leur nombre est passé à plus de 88’000 personnes en 2018. Bien évidemment, cette augmentation n’est pas une démonstration en soi, vu que le PIB et la population ont crû dans la même période. Mais quand on observe l’augmentation de l’emploi dans le secteur privé, elle n’est que de 17 % durant la même période. Et même de 13 % à peine depuis 2008, contrairement aux 30 % d’augmentation dans le secteur public. De surcroît, les salaires des employés de l’administration fédérale, avec une rémunération mensuelle moyenne supérieure à 10’000 CHF, dépassent même ceux des employés du secteur financier. Ici aussi, les auteurs observent une augmentation plus importante que dans le privé. Alors que les salaires dans le secteur privé ont augmenté de 8% entre 2008 et 2018, l’administration fédérale verse aujourd’hui 13% de plus. S’ajoutant à une grande sécurité de l’emploi, ces hauts salaires rendent artificiellement séduisant un secteur public qui vit des excédents du secteur privé. Universum, qui publie chaque année un classement des employeurs les plus attractifs par branche d’activité, relève par exemple que parmi les juristes, l’État est l’employeur qui plaît le plus. Dans d’autres branches, il occupe également les premières places du classement. Cette réalité étonne même les sondeurs qui avouent que le fait que l’État soit aussi bien placé dans le classement est quelque chose de rare dans le reste du monde. L’attractivité de l’État en tant qu’employeur aggrave la pénurie de personnel dans le secteur privé. Nous assistons donc à une paradoxale concurrence déloyale, qui voit le perdant, le secteur privé, financer sa propre dégradation d’attractivité, et son réservoir de forces vives rejoindre l’autre bord, le secteur public. Cette évolution contient les germes de sa propre destruction, vu qu’elle oppose deux logiques qui sont fondamentalement en contradiction.
Au lieu d’envisager une augmentation des subventions pour faire face au problème qu’il a en partie engendré, il faut demander à l’État de suivre un régime minceur, en renonçant à sa gourmandise en termes de prélèvements obligatoires, mais aussi en cessant de faire augmenter année après année, l’appareil réglementaire qui empêche le secteur privé de prospérer. Ainsi, rapidement, mais aussi durablement, le pouvoir d’achat de toute la population augmenterait. Il est grand temps de redonner libre cours à la créativité des individus.
À lire sur ce sujet : Philosophie de l’impôt, Philippe Nemo, 2017