Conférence en ligne du 13 décembre 2022.
Pour présenter la pensée libérale des relations internationales Jean-Baptiste Noé fait appel à trois concepts grecs : la philia, la polis et l’isonomia.
La philia
La philia veut dire «amitié», au sens profond du terme. Il s’agit non pas d’une amitié superficielle, mais bien d’un lien intellectuel et spirituel qui peut aller jusqu’au sacrifice de soi-même pour son ami. Ces amitiés peuvent avoir lieu entre personnes libres. Pour que cette amitié soit possible, il faut partager des choses en commun. Autrement dit, il est nécessaire de se mettre d’accord sur une façon de «vivre ensemble».
Sur la base de ces amitiés peuvent naître des groupes. L’association de ces groupes forme ensuite une nation et finalement, toutes ces nations forment les relations internationales. En partant de la philia, l’association volontaire d’individus libres, il est donc possible de théoriser une pensée libérale des relations internationales, en tant que pensée des relations entre les différentes nations.
Jean-Baptiste Noé rend ensuite attentif au fait que tout groupe ne reposant pas sur des amitiés volontaires est voué à l’échec. En résumé, sans philia, pas de vie en commun.
La polis
Vient ensuite le concept de polis, ou de cité. Celle-ci regroupe des personnes qui décident d’habiter ensemble (philia), de façon volontaire. Cette vie en commun nécessite des règles. Car pour Jean-Baptiste Noé, sans ordre, les hommes tombent dans le chaos et l’anarchie, ce qui dissout les cités et empêche leur existence.
Il existe deux façons de parvenir à cet ordre : de façon spontanée ou de manière «construite», donc imposée. Cette dernière approche est typique des différents mouvements socialistes. Les libéraux eux défendent un ordre spontané, car ils souhaitent voir émerger des cités d’individus libres. Cette différence a des conséquences concrètes. Dans un ordre construit, il faut un État puissant et omniprésent, qui doit assurer la garantie de celui-ci, car il ne repose sur rien de réel, sur aucune «philia». Ainsi, en toute logique, l’ordre construit conduit, à l’échelle nationale, à l’État providence, et à l’échelle internationale, à une gouvernance mondiale, comme par exemple l’ONU.
Cette opposition entre une polis qui se base sur une volonté de «vivre ensemble» et les autres qui sont «construites» sur des bases artificielles, peut expliquer l’absence de résultats des aides humanitaires ou d’autres mesures collectivistes.
L’isonomia
Finalement, l’intervenant a rappelé la nécessité d’une règle commune pour vivre ensemble. Or, le monde moderne se singularise par une multipolarité politique et philosophique, qui nous éloigne d’une règle commune permettant la vie pacifique entre différentes polis. Dans ce monde multipolaire se pose concrètement la question de comment faire par exemple avec une Chine qui ne respecte pas les mêmes normes que l’Occident et qui base sa polis sur d’autres règles que l’Occident ? Que faire ? Faut-il devenir intolérant, au risque de renier ses valeurs ? Non, selon Jean-Baptiste Noé. Pour lui, face à l’impossibilité de l’isonomia (d’une règle commune), du fait de la multipolarité philosophique, il faut penser les relations internationales dans un cadre où il puisse y avoir des règles et des lois à deux vitesses, certaines dans le monde occidental, d’autres à l’extérieur. Il faut ainsi continuer à respecter et chérir les libertés, même quand d’autres ne le font pas ou plus. Pour servir d’exemple et mettre en exergue les différences entre les différentes civilisations, libérales et non libérales.
Ainsi, grâce à ces trois concepts — La philia, la polis, l’isonomia — il est possible d’esquisser les contours d’une pensée libérale des relations internationales.
Jean-Baptiste Noé est rédacteur en chef de la revue de géopolitique Conflits et directeur d’Orbis géopolitique. Il est docteur en histoire (Sorbonne-Université). Son dernier ouvrage «Le Déclin d’un monde» vient de sortir aux éditions L’artilleur.
(Re)voir la conférence sur Youtube :
«Peut-on aborder les relations internationales avec une perspective libérale ?»