Il y a cinquante ans, Augusto Pinochet prenait le pouvoir au Chili. Cette prise de pouvoir a fait couler beaucoup d’encre. Notamment en raison du rôle joué par les États-Unis, mais aussi des réformes économiques mises en œuvre par Pinochet et un groupe d’économistes de l’École de Chicago. Ou encore la violence de la junte et enfin la tentative de pression sur Pinochet pour un retour à la démocratie dans les années 1980.
Beaucoup ont essayé de tirer des leçons de cet épisode historique. L’une d’entre elles est que les coups d’État soutenus par l’étranger ont tendance à être contreproductifs. Tant pour les démocraties libérales (évidemment) que pour le niveau de vie du pays en question. Il y a sur ce dernier point des preuves importantes sur le lien entre l’ingérence étrangère et la chute du niveau de vie. Dans une étude récente sur les coups d’État soutenus par la CIA en Amérique latine, Kevin Grier montre que le PIB par habitant perd 10 points de base comparativement à des pays similaires qui n’ont pas connu de coups d’État.
Un autre enseignement à tirer est que la montée de l’étatisme conduit inévitablement à la fin de la démocratie, alors que la libéralisation économique permet de l’approfondir. Cette analyse s’appuie sur le fait que les régimes qui interviennent dans l’économie provoquent des problèmes qui requièrent toujours plus d’interventions. Ces interventions conduisent à des intrusions majeures en termes de liberté individuelle et de liberté politique. En conséquence, les démocraties s’affaiblissent et en meurent. À un certain niveau, ceci semble exact pour l’économie chilienne depuis les années 1930. L’augmentation progressive du protectionnisme et l’industrialisation à marche forcée par l’État à conduit vers plus d’interventions, comme par exemple la nationalisation de la production de cuivre en 1964 par le conservateur Eduardo Frei. Selon certains, ce cercle vicieux de montée de l’interventionnisme à conduit à la victoire imprévue de l’extrême gauche en 1970 avec Salvador Allende.
Je dis imprévue, car la plupart des participants pensaient que le favori allait gagner facilement. Cette victoire causa de nombreuses peurs sur le plan politique. À cause de sa victoire relative, c’est le Parlement qui devait entériner le résultat d’Allende. Un des partis fut d’accord pour soutenir Allende, seulement s’il soutenait une politique démocratique (essentiellement, il devait éviter de rogner sur les libertés politiques et de violer la constitution). Allende accepta et il devint président. Malheureusement, Allende fit le contraire. Quelques exemples : non-respect de la constitution à travers les nationalisations, violation de la liberté de la presse et soutien implicite à des milices d’extrême gauche. Dans un contexte de troubles économiques dus à sa politique de nationalisation, un coup d’État semblait inévitable. Comme le disait le philosophe français Jean-François Revel, «quand Pinochet est arrivé pour tuer la démocratie chilienne, il a découvert un corps qui était déjà mort».
Ces leçons en cachent une autre plus importante : à long-terme, il n’existe pas de socialiste démocratique ou de dictateur libéral. Pour qu’un socialiste prenne le pouvoir par des moyens démocratiques, l’État doit avoir largement dépassé ses fonctions régaliennes. Cela ralentit la croissance économique et augmente le mécontentement. Cela signifie également que la possibilité de s’enrichir par l’entrepreneuriat politique (c’est-à-dire la recherche de rentes) devient une option privilégiée. Ce qui alimente le ressentiment des personnes moins avisées sur le plan politique, qui n’ont pas accès à ces privilèges. En conséquence, les électeurs ont plus de facilité à soutenir l’extrême gauche ou l’extrême droite, même quand ils affirment clairement vouloir menacer la démocratie. Par essence, l’arrivée d’un parti extrémiste au pouvoir – comme les socialistes «démocrates» – signifie que la démocratie libérale est sur son lit de mort.
De la même façon, il n’existe pas de dictateurs libéraux. Le dictateur qui va mettre à mal la démocratie n’a rien à voir avec un individu éclairé et libre. Un dictateur peut certes libéraliser certaines activités économiques. Cependant, cela ne sera pas fait par conviction, ou par amour des libertés économiques et politiques. Si Pinochet avait pu éviter de libéraliser pour garder son pouvoir, il l’aurait fait. En excusant les dictateurs qui libéralisent, ou même en fraternisant avec eux pour mettre en place une politique, on obtient des résultats illibéraux à long terme.
Comme Sebastian Edwards le pointe dans sa récente publication qui retrace l’histoire des économistes qui ont accompagné Pinochet au moment d’écrire un programme économique, ceux-ci ont oublié que les idées libérales nécessitent une défense constante. La capacité des institutions libérales pour améliorer le progrès humain tend à être vraiment visible seulement sur le long terme. Faire une alliance avec un dictateur illibéral qui pourrait avoir une inspiration passagère libérale n’est rien de plus qu’un pacte faustien.
Vincent Geloso est professeur assistant d’économie à l’Université George Mason. Cette contribution est une traduction d’un texte publié en anglais sur le site de l’American Institute for Economic Research.