La fiscalité, entre autres paramètres, comme la densité réglementaire, délimite en grande partie la sphère de la contrainte et de l’État par rapport à la sphère de la liberté et de la société civile. C’est pourquoi l’Institut Libéral se penche de manière intense sur la question. La soirée-débat du 18 mars a été consacrée aux principes devant régir une conception plus légitime de l’impôt, s’opposant efficacement au socialisme fiscal ambiant.
Comme l’a rappelé Pierre Bessard en introduction, les collectivités publiques actuelles peuvent être qualifiées de gloutonnes: en Suisse, les recettes fiscales de l’ensemble des collectivités publiques ont augmenté beaucoup plus vite que l’économie et la population. Sur trente ans, la quote-part fiscale dans le PIB s’est alourdie de 23 à 28%, sans compter d’autres charges obligatoires. Les moyens prélevés sont typiquement dissipés dans le gonflement des appareils de redistribution et des administrations publiques, sans nécessité, mais parce que la productivité et les revenus croissent et que le nombre de bons contribuables augmente. La Suisse est donc également victime de socialisme fiscal, même si celui-ci est parfois moins apparent qu’ailleurs.
Dans sa conférence, le philosophe Philippe Nemo, auteur de l’ouvrage très dense Philosophie de l’impôt, publié l’an dernier, a noté le petit nombre d’intellectuels, en marge des économistes, qui se sont intéressés en profondeur à la relation entre l’impôt et la conception que l’on se fait de l’être humain et de la société. Une exception est Peter Sloterdijk, en Allemagne, auteur du grand volume Repenser l’impôt. Or le gonflement des prélèvements obligatoires est un phénomène assez récent. La mutation s’est produite au cours des quatre à cinq dernières décennies. Comment se fait-il que l’on ne s’en alarme pas? La forte croissance économique des trente glorieuses a largement empêché d’en prendre conscience: les prélèvements augmentaient sans que les salaires réels ne diminuent. En France, la machine des déficits et de l’endettement de l’État s’est de surcroît emballée et est devenue impossible à maîtriser. Les Français sont donc devenus «socialistes sans le savoir». Alors que la conception des impôts, notamment défendue par Benjamin Constant, était qu’ils devaient contribuer au maintien de l’État dans ses fonctions régaliennes, cela a changé au début du XXe siècle avec la montée en force des socialistes.
C’est ainsi que l’impôt progressif, une idée hostile à la propriété véhiculée par Karl Marx, s’est imposé comme mode de prélèvement usuel, alors qu’il s’inscrit en contradiction avec toute conception raisonnable de la justice et est destiné à détruire la richesse. Il est l’expression typique de l’impôt confiscatoire, qu’il faut ranger moralement au niveau du vol. Cette conception fausse, celle de l’impôt sans contrepartie, est celle que doivent combattre les libéraux aujourd’hui. L’impôt s’apparente alors à une spoliation. Quatre idéologies en sont à l’origine: le marxisme, l’argument de «l’égalité de sacrifice» et de l’utilité marginale décroissante du revenu, le solidarisme et le keynésianisme. Auxquelles s’ajoutent deux passions destructrices: l’envie (des masses) et la cupidité (des bénéficiaires de l’argent public), qui ne peuvent être contrecarrées que par le droit et la morale. Cette fausse conception de l’impôt est une rupture du consentement: toute richesse appartient implicitement à l’État et la seule raison qui justifie l’impôt est le rapport de force. L’impôt sans contrepartie ouvre le champ de l’inquisition fiscale: les fonctionnaires doivent tout connaître de ce que possèdent les gens afin de leur prendre le maximum. Et comme l’État n’est jamais rassasié, la ruse principale est souvent d’augmenter l’assiette de l’impôt.
Or les violations fiscales du droit de propriété sur la production conduisent à une mutilation ontologique, à une déshumanisation, dans la mesure où il y a un lien entre ce que l’on a et ce que l’on est. L’humanisme induit la valorisation de la personne et donc de sa propriété. De plus, en privant l’individu d’une grande partie de ses revenus, l’État réduit sa liberté d’autant.
Comment rompre avec le socialisme fiscal? Philippe Nemo est convaincu que le combat des idées est à même de faire basculer cette montagne, comme ce sont les idées socialistes qui l’ont élevée.
Cela commence par le retour à une conception juste de l’impôt, selon les critères élaborés par Friedrich Hayek, où le service rendu correspond à ce qui est donné. Premièrement, l’impôt doit servir à financer l’État régalien, donc la sécurité publique, dont tout le monde profite également: l’impôt correspondant doit donc être d’un montant égal pour tous (avec d’éventuels dégrèvements). Deuxièmement, l’impôt doit servir à financer les services collectifs qui ne peuvent être rendus par le marché (un problème est cependant de déterminer lesquels): l’impôt correspondant doit être proportionnel, du fait que le profit (des infrastructures par exemple) est proportionnel à l’activité des bénéficiaires. Ces principes ne résolvent certes pas toutes les questions mais restaurent l’idée de la propriété privée inviolable, qui doit être opposable aux simples accaparements de l’État.