Quelle est l’origine de la crise actuelle sur les marchés financiers? Les économistes sont unanimes en soulignant le rôle central d’une irresponsabilité des agents concernés. En effet, les intermédiaires financiers participent pleinement aux gains de leurs placements si tout va bien, tandis qu’ils ne subissent pas les pertes si l’investissement tourne mal. Certes, les agents incompétents risquent bien de perdre leur emploi; mais les pertes monétaires — des millions et des milliards d’euros — incombent à d’autres personnes. Les gains sont privés, les pertes sont socialisées.
Les professionnels du secteur financier ont alors tendance à percevoir surtout les opportunités de leurs engagements et à négliger les dangers. Ils sont «exubérants» et font de mauvais choix d’investissement. D’où les crises récurrentes sur les marchés financiers.
Mais quelle est l’origine de cette asymétrie? Pourquoi les agents financiers peuvent-ils se permettre de socialiser les coûts de leurs engagements tout en participant aux gains? Répondre que les intermédiaires financiers sont «exubérants» de par leur nature est un argument intenable car en contradiction avec les faits et le bon sens. Si les intermédiaires financiers s’enrichissaient systématiquement aux dépens de leur clientèle, alors la clientèle disparaîtrait très vite de ce secteur… Il est dès lors clair que les banques ne peuvent pas unilatéralement socialiser les coûts de leurs erreurs. Toute tentative ouverte de le faire serait simplement suicidaire. Elles ont bien au contraire tout intérêt à satisfaire leur clientèle. Elles ont tout intérêt à évaluer les risques de leurs engagements correctement, à éviter dans leurs choix des risques qui sont excessifs par rapport aux gains possibles et à bien conseiller leurs clients.
Contrefaçon financière
Certains économistes considèrent que la titrisation et les transactions hors bilan ont changé la donne. Ces instruments et pratiques, inintelligibles pour le commun des mortels, auraient permis de tromper la vigilance des consommateurs. Ils auraient permis de vendre de bons actifs et des produits financiers inférieurs sur un pied d’égalité. Puisque ces derniers coûtent moins cher à leur producteur, ils se sont de plus en plus imposés, tout comme les articles contrefaits se répandent aux dépens des originaux.
Cette explication n’est pas pertinente: ce n’est pas parce qu’un produit devient plus compliqué sur le plan technique que les marchands — et même le consommateur ordinaire — perdent la possibilité de l’utiliser et de l’évaluer correctement. Peu de gens comprennent le fonctionnement du moteur de leur véhicule et encore moins celui de leur ordinateur. Cette ignorance ne les empêche pourtant pas d’utiliser l’un et l’autre et de comparer différents modèles.
N’oublions pas non plus que les producteurs se font concurrence. Si certains d’entre eux se mettaient à exploiter l’ignorance technique des acheteurs, alors leurs concurrents en avertiraient aussitôt le public.
Il en est de même sur les marchés financiers. Ici aussi, il est improbable que des cas de «contrefaçon financière» passent très longtemps inaperçus. A priori, il n’y a donc pas de raison de croire que la vigilance des consommateurs saurait être trompée dans ce secteur.
Mais il est manifeste que les produits financiers inférieurs se sont répandus sur le marché. Intermédiaires et consommateurs les ont achetés. Pourquoi? Parce que certains facteurs extérieurs ont neutralisé et perverti le mécanisme concurrentiel. Il faut citer en tout premier lieu l’interventionnisme monétaire qui a systématiquement déresponsabilisé les marchés.
Les banques centrales assument le rôle de prêteurs en dernier ressort, c’est-à-dire qu’en temps de crise elles viennent à la rescousse des firmes en difficulté, soit par une création monétaire en leur faveur, soit par la reprise plus ou moins gratuite de leurs actifs au prix nominal. Au premier abord, cette intervention semble être bénéfique. Mais en fait c’est précisément elle qui incite les intermédiaires financiers et leurs clients à l’exubérance. Les principaux agents des marchés financiers anticipent que les banques centrales vont empêcher tout effondrement des cours. Par conséquent, ils ont une incitation perverse à baser leurs calculs sur le soutien venant de la politique monétaire. Sûrs de ce soutien, ils ne craignent plus les risques de leurs engagements, et visent les profits.
La bouée étatique a perverti le mécanisme concurrentiel
Dès lors, on comprend pourquoi la vigilance des consommateurs est affaiblie et comment des produits à risques excessifs ont pu se répandre sur le marché: ce n’est pas en raison de leur complexité; mais parce que leurs coûts sont socialisés grâce aux mesures des banques centrales.
Qui paie d’ailleurs pour les frais de ces interventions? Ce ne sont pas les consommateurs des produits financiers. Ceux-ci comptent au contraire parmi les bénéficiaires. Les véritables garants de l’interventionnisme monétaire sont les citoyens qui subissent l’inflation. Lorsque les banques centrales mettent en marche la planche à billets, elles provoquent à terme une augmentation des prix au-delà du niveau qu’ils auraient autrement atteint. Tous les membres de la société paient de ce fait pour les sauvetages du secteur financier.
Le constat s’impose: la socialisation des risques financiers est l’œuvre de notre système monétaire actuel. Les banques n’auraient pas la possibilité de l’imposer de leur propre initiative. L’interventionnisme monétaire déresponsabilise les intermédiaires financiers et provoque ainsi des crises récurrentes. Il faut repenser le système monétaire dans son ensemble, en commençant par le rôle de l’Etat.
Guido Hülsmann est professeur d’économie à l’Université d’Angers et chercheur senior au Ludwig von Mises Institute. Cet article a été publié dans Le Temps.