Une assertion récurrente dans le débat politique est que l’ascenseur social est en panne. Autrement dit, que la possibilité de réussir socialement et de s’enrichir en partant de rien, serait morte, ou presque. Cela a été affirmé tant de fois par le passé que le récent retour de cette discussion ne semble, a priori, rien apporter de nouveau. Or, des avancées récentes dans le domaine du traitement des données pourraient faire évoluer le débat sur la question.
La première d’entre elles est la «Great Gatsby Curve» («la courbe de Gatsby le magnifique»), popularisée par Miles Corak, qui montre le lien entre les inégalités de revenus et la mobilité intergénérationnelle des revenus au sein d’un pays. Être né dans une famille riche permet à une personne d’utiliser les moyens financiers de ses parents pour saisir des opportunités. À l’inverse, ceux issus de milieux plus pauvres sont limités par les faibles moyens de leurs parents. Prenons l’exemple de l’école, comme outil de l’ascenseur social. Si le coût de celle-ci est plus élevé pour les plus pauvres, au prorata de leurs revenus, par rapport aux plus riches, alors les enfants de ces derniers seront favorisés. En conséquence, les graphiques semblent montrer une corrélation entre les inégalités de revenus et le taux de mobilité sociale intergénérationnelle (mesurée par la comparaison entre les revenus des parents et ceux de leurs enfants). Étant donné que les inégalités sont considérées comme étant en hausse dans certains pays, comme les États-Unis, cette mobilité devrait donc être en baisse.
La seconde avancée récente est le fruit du travail de Raj Chetty (et de tous ceux qui ont travaillé avec lui). Il a constitué une importante base de données de la mobilité socioprofessionnelle des Américains au fil des générations. Et en s’appuyant sur celle-ci, il estime que le «capital social», c’est-à-dire nos réseaux, est un élément déterminant de notre mobilité sociale. Étant donné que le capital social est en baisse depuis les années 1970, on peut facilement faire le lien avec la baisse de mobilité de revenus intergénérationnelle (ce que Chetty a documenté lui-même).
Cependant, ces deux écoles de pensée oublient d’évoquer un des contre-arguments concernant la fin du rêve américain : le facteur institutionnel. En effet, de nombreux universitaires ont montré que la mobilité sociale intergénérationnelle peut être grandement favorisée par une législation favorable à l’entreprenariat, qui augmente le retour sur investissement et qui permet aux entrepreneurs de jouir des fruits de ces efforts. C’est cela la «liberté économique». Elle encourage les gens à entreprendre car ils peuvent espérer en retour gagner beaucoup et réussir une ascension sociale. Cette liberté implique entre autres que les acteurs économiques déjà présents ne bénéficient pas de privilèges quels qu’ils soient et qu’aucune pratique anticoncurrentielle ne soit tolérée. La capacité de concurrencer les acteurs en place, ce que garantit la liberté économique, est donc un élément clé de la mobilité intergénérationnelle en matière de revenus.
Ce contre-argument n’a pas encore été utilisé pour répondre au retour dans le débat public de l’assertion suivant laquelle l’ascenseur social serait en panne. Dans un récent article, que j’ai coécrit avec Alicia Plemmons et Justin Callais, j’ai utilisé les avancées des dix dernières années dans le domaine du traitement des données pour mettre à jour l’argument précité. Plus précisément, nous avons croisé les données de Raj Chetty et son équipe avec les estimations du degré de liberté économique dans les différentes aires métropolitaines américaines. Notre but était simple : voir quel facteur influençait le plus la mobilité intergénérationnelle de revenus.
Nos résultats montrent que le degré de liberté économique est un facteur absolument central dans la mobilité intergénérationnelle des revenus. Les personnes nées dans les métropoles américaines les plus libres sur le plan économique sont 5 à 12% plus nombreuses à connaître une mobilité intergénérationnelle de revenus. Cet impact est toujours plus significatif que les inégalités de revenus. Cette hausse de la mobilité dans les zones moins régulées ou taxées est en outre plus importante que presque tous les liens faits par Raj Chetty et son équipe en matière de capital social.
Il est tout à fait possible que le rêve américain soit en train de mourir, comme l’affirment nombre d’experts et de politiques. Mais que ce soit le cas ou non (j’en doute personnellement), la solution la plus juste et la plus efficace reste une plus grande liberté économique : faites confiance au marché !
Vincent Geloso est professeur assistant d’économie à l’Université George Mason. Cette contribution est une traduction d’un texte publié en anglais sur le site de l’American Institute for Economic Research.