La concurrence fiscale est déjà fortement réprimée en Suisse
La discussion sur l'harmonisation fiscale va prendre un ton de plus en plus désagréable ces prochains mois.
Les institutions européennes quémandent un traitement identique aux sociétés européennes et suisses dans notre pays. Mais alors pourquoi les fonctionnaires de l'Union européenne qui jouissent de leur retraite en Suisse sont-ils exonérés d'impôts? C'est illogique, et c'est pourtant l'une des dispositions obtenues par Bruxelles dans le cadre des Bilatérales. Face à une Suisse prompte au compromis, l'Union européenne aurait tort de se priver, d'interpréter d'anciens traités, de menacer de rétorsions et de poursuivre une harmonisation plus avancée qu'on ne le croit.
Loin de nous l'idée de mettre la Suisse sur un piédestal, un modèle de compétitivité, d'ouverture et d'harmonie. La Suisse n'a jamais été aussi éloignée du statut de paradis fiscal, du moins dans une majorité de cantons. D'ailleurs, l'absence de relation de confiance entre citoyens et Etat ne se concentre pas sur l'Allemagne. L'économie au noir représente tout de même 8,2% du PIB suisse (1), même si nous évitons la situation dramatique de nos voisins du nord (14,7% d'économie au noir). Un désaveu source de fuite, de «vote avec les pieds» de citoyens qui préfèrent changer de pays, malgré tous les inconvénients associés à pareille décision. 29309 Allemands ont déménagé en Suisse l'an dernier. En partie à cause des impôts. Sur ce sujet éminemment important des relations entre citoyen et gouvernement, ils n'ont pas le droit de vote. Dans le monde, moins de 50% des pays démocratiques permettent à leurs citoyens de voter sur les impôts et les dépenses publiques.
Faut-il poursuivre l'harmonisation fiscale ou mettre en concurrence les Etats? L'alternative, c'est le cartel fiscal, et elle est bien pire: impossibilité de résister à l'appétit vorace de l'Etat, manque de comparaison des performances et des services de l'Etat, explique avec raison Christoph Schaltegger, responsable de la fiscalité auprès d'economiesuisse, lors d'une conférence de l'Institut libéral à Zurich. La Suisse n'est pourtant pas un pays où la concurrence fiscale ferait rage. A force de répéter cette idée fausse dans les médias, on finirait par y adhérer. D'ailleurs, une initiative socialiste se prépare sur ce thème: réduire la concurrence dite «abusive». Pourtant, 45% des recettes fiscales suisses ne sont pas soumises à la concurrence, démontre Christoph Schaltegger. Les mêmes milieux se plaignent d'une course à la baisse d'impôts. Là aussi, seul le refus de se plonger dans les statistiques peut nourrir pareille déclaration. La hausse des recettes fiscales et de la quote-part fiscale se poursuit inlassablement depuis des décennies pour les individus comme pour les entreprises. Une hausse nettement supérieure à celle de la croissance économique. Si la concurrence était si forte, la courbe n'aurait pas pris pareillement l'ascenseur.
La Suisse est une terre d'iniquité, affirment finalement les thuriféraires de l'harmonisation fiscale. Là aussi, les chiffres prouvent le contraire: 2,8% des entreprises paient plus de 90% de l'impôt sur les entreprises, selon Schaltegger. C'est d'ailleurs un danger sous-estimé. Une détérioration de notre compétitivité fiscale pourrait provoquer une délocalisation de quelques-uns des grands payeurs.
L'Union européenne ne peut que se féliciter des pressions internes à la Suisse pour encore relever la charge fiscale et accroître l'harmonisation des impôts. Heureusement, les taux d'imposition sont ancrés dans la Constitution, et le citoyen doit accepter de les changer, déclare avec raison Hans Kaufmann, membre UDC de la Commission pour l'économie et les redevances.
La stratégie de Lisbonne qui vise à améliorer la compétitivité de l'UE sans obliger les Etats membres à réduire les taux d'imposition paraît étonnante. Une fiscalité trop lourde n'est-elle pas un frein à la compétitivité, demande fort justement Pierre Bessard (2)? En Europe, l'harmonisation progresse et touche les taux minima pour la TVA, les taxes sur les boissons, l'alcool, le tabac ainsi que la structure des impôts.
La discussion sur l'harmonisation fiscale va d'ailleurs prendre un ton de plus en plus désagréable ces prochains mois. Non seulement à cause de l'initiative socialiste, mais aussi à cause des pressions qui viendront de l'OCDE et de son comité fiscal. Jusqu'ici, cette organisation se heurtait dans ses initiatives fiscales au manque de soutien d'un membre important, les Etats-Unis. La perspective d'une présidence démocrate à Washington modifie considérablement la donne. Le cartel fiscal devrait se renforcer. Barack Obama s'attaque aux «paradis fiscaux» et Hillary Clinton à la globalisation, le processus qui a permis de limiter les taux d'imposition et d'encourager l'innovation. Avec un changement aux Etats-Unis, la Suisse risque d'être rapidement confrontée à une directive fiscale II.
(1) Fluch oder Segen? Friedrich Schneider, Université de Linz, 2007.
(2) Das europäische Steuerkartell und die Rolle der Schweiz, Liberales Institut, 2008.
16. April 2008