Robert Nef, artisan des idées libérales

Son ouvrage sur le non-centralisme rencontre un franc succès à l'Est. Robert Nef organisait mercredi soir une fête de la liberté, en mémoire de la chute du Mur.

Au rez-de-chaussée de cet immeuble zurichois, un espace de Shiatsu. Au premier, un psychothérapeute. Plus haut, un consultant pour la santé. Au dernier étage, le «Liberales Institut».

Quelles allergies cherche à combattre Robert Nef, son directeur, qui organisait mercredi soir la «fête de la liberté», en mémoire au 9.11.89 et à la chute du mur de Berlin? «Tous les mots en ismes», répond-il. Plutôt que de libéralisme, il parle de liberté et d'autonomie. Et mieux encore de «dissidence créative». Son concept favori se réfère à Eve, Moïse ou Prométhée et dépasse nettement l'approche très économique d'Adam Smith. C'est un concept de vie, selon cet artisan des idées qui se dit professeur, au sens original du mot, mais surtout pas idéologue. C'est dans cet esprit qu'il dirige son institut, le plus ancien think tank suisse, qui a gagné cette année le «Freedom Award» décerné par Atlas Economic Research Foundation, aux Etats-Unis. Robert Nef est aussi un auteur prolifique qui publie seul ou avec diverses personnalités, comme Gerhard Schwarz, le chef de la rubrique économique de la NZZ.

L'institut fête la victoire de la liberté, mais regrette que la gauche ait gagné la «longue marche des mots». La gauche crée une image négative du libéralisme en y ajoutant le préfixe néo. Le mot néolibéral vient des années 30, de l'Ecole de Fribourg-en-Brisgau. Avec ce préfixe, on suggère l'existence de dogmatiques, de gens sans cœur. La gauche est parvenue à faire croire à une troisième voie entre l'économie de marché et le socialisme. «L'idéal n'est pas dans un mélange des deux. Le choix se fait entre la contrainte et la liberté», selon Robert Nef. Pour lui, le social est antisocial car il part d'une contrainte de l'Etat. Les mots de la gauche se sont imposés, aidés par «un quasi-monopole dans les médias, les universités et les écoles». Sur la base de concepts erronés, on oppose capitalisme à socialisme. «Si je dis que je suis capitaliste, on dira que je suis riche: une grossière erreur!» Robert Nef ne gagne pas davantage qu'un professeur du secondaire. Personne ne devrait dicter l'emploi de la langue. Ce qui n'empêche pas l'intellectuel, comme Friedrich von Hayek, de se battre contre le terme de justice sociale. La justice existe ou n'existe pas. L'individualisme de notre société n'est pas le fruit du libéralisme, mais plutôt de l'échec de l'Etat. L'Etat providence a conduit l'individu à ne plus se préoccuper de ses voisins et de sa communauté. Les incitations à créer une solidarité non-contrainte disparaissent avec l'augmentation des tâches de l'Etat, ajoute-t-il. Le socialisme a promis de rendre les travailleurs plus riches et les a rendus égoïstes. Il a doublement échoué.

La chute du socialisme ne l'a pas surpris. Il connaît bien l'Europe de l'Est depuis les années 60, après ses études à Vienne. Souvent invité à présenter ses idées à Prague ou Vilnius, «j'apprends davantage à leur contact qu'ils n'apprennent de mes idées. Ils sont bien plus conséquents contre toute forme de contrainte de l'Etat». Après vingt-six ans à la direction du think tank, qu'il accompagne depuis ses débuts, après avoir été assistant à l'ETH Zurich, il récolte enfin le fruit de son travail. Au départ, il devait œuvrer sur les concepts, avant d'employer les instruments de marketing pour leur diffusion. Ce travail d'artisanat est peu coûteux, la mise en vitrine beaucoup plus. Ce n'est que récemment, après des décennies d'artisan des idées et d'éditeur du périodique Schweizer Monatsheft que Robert Nef «rencontre une demande». Robert Nef admet que le libéralisme souffre de l'image de performance et de succès associée aux chefs d'entreprise. Mais les valeurs ne dépendent pas du niveau de vie. L'important est d'avoir un travail. «Sinon, l'homme devient agressif et cynique.» Comme on le voit en France. Il s'oppose aux thèses des sociologues qui anticipent un monde où le tiers de la population travaille. «C'est un modèle cynique qui omet la valeur intégrative du travail. Je préfère être balayeur que de ne pas travailler.» On abaisse trop souvent la valeur du travail.

En politique, Robert Nef est membre de longue date du PRD et fait partie du comité zurichois pour la commission pour les élections. Mais vote fréquemment autrement. Il a aussi été invité à des séminaires de l'UDC, et en apprécie le non-centralisme. Ce dernier concept est l'objet d'un ouvrage de Robert Nef, d'ailleurs traduit en russe. Comme l'UDC, il refuse l'Europe de Maastricht, l'harmonisation fiscale et le centralisme. «C'est un projet social-démocrate et je ne comprends pas son attrait pour le PRD.»

Emmanuel Garessus, Le Temps

10. November 2005