Javier Milei, qui se déclare «anarcho-capitaliste», a remporté les élections présidentielles argentines de façon surprenante. La plupart des médias de masse ont fait un portrait étrange du candidat et de son mouvement. La présentation faite par «Radio France» est représentative. Le titre consacré à l’élection parle d’une «large victoire à la présidentielle du polémiste anarcho-capitaliste Javier Milei». Javier Milei est décrit comme un «populiste de droite excentrique» qui veut abolir la banque centrale et la plupart des ministères. Est-ce véridique ? L’Argentine est-elle en train d’introduire une forme d’anarcho-capitalisme par l’intermédiaire d’un populiste de droite ? L’analyse du programme électoral officiel de son alliance donne une réponse plus nuancée.
Contexte
L’Argentine est un exemple emblématique de pays dans lequel la prospérité a engendré une forme de folie. Dans un premier temps, la politique a distribué à la légère les biens de l’État et s’est ainsi acheté des voix pour les élections. Puis, lorsque la crise est survenue, elle n’a pas eu pour effet de corriger le tir, mais au contraire de renforcer l’interventionnisme de l’État pour faire face à la situation économique désastreuse. La crise économique s’est transformée en crise financière, qui a finalement débouché sur une crise sociale. Plus les gens deviennent dépendants de l’État, plus ils sont enclins à exiger encore plus de l’État. L’État dépassé fini par trouver une issue de secours en recourant à l’inflation. Ce qui a aggravé encore davantage la situation. D’un des pays les plus riches du monde, l’Argentine est ainsi tombée dans un état où la moitié de la population vit désormais dans la pauvreté.
Javier Milei veut changer cela avec son alliance «La Libertad Avanza» (littéralement : «La liberté avance»). Dans son autoportrait pour la candidature à la présidence, Javier Milei se présente ainsi :
Je suis né le 22 octobre 1970 dans la ville de Buenos Aires. Je suis le fils de parents issus de la classe moyenne, mon père était chauffeur de bus et ma mère femme au foyer. J’ai grandi dans cette ville et j’y vis toujours. Dès mon enfance, je savais que je voulais étudier l’économie. Quand j’étais jeune, je me suis lancé dans le football et la musique, mais ma véritable vocation m’attendait encore.
Après l’hyperinflation de 1989, j’ai décidé d’étudier l’économie pour comprendre les phénomènes monétaires et sociaux tels qu’ils affectaient l’Argentine. En 1993, j’ai obtenu une licence en économie de l’Université de Belgrano, puis un diplôme de troisième cycle en théorie économique à l’Institut de développement économique et social de l’Université Torcuato Di Tella. Je suis l’auteur de cinquante-deux articles scientifiques, de seize livres et de plus de cinq cents articles de vulgarisation dans la presse écrite.
Si l’on se penche sur le parcours intellectuel de Javier Milei, on constate qu’il s’agit d’un économiste compétent. Comme c’est typiquement le cas en Amérique latine, il a dû étudier le keynésianisme de gauche dominant pendant ses études, mais il est ensuite rapidement parvenu de sa propre initiative au néoclassicisme et au monétarisme. De là à découvrir l’école autrichienne d’économie nationale, il n’y avait qu’un pas. Tout à coup, tout lui est apparu comme une évidence et sa décision de mettre en pratique les enseignements de l’École autrichienne a mûri. Il s’aide pour cela d’une excentricité intentionnelle. On le voit fréquemment sur les plateaux de télévision et il a même sa propre émission. Le fait qu’il dépasse parfois les bornes verbalement pour faire passer ses messages ne doit pas faire oublier que l’alliance libérale est un projet sérieux dont le programme est loin d’être utopique.
Contrairement à de nombreux articles de presse qui veulent placer Milei et ses compagnons de route quelque part parmi les extrêmes, le programme électoral de «La Libertad Avanza» présente en réalité de nombreux points qui visent avant tout un objectif : remettre le pays sur pied sur le plan économique. Les représentants de l’alliance libérale veulent en finir avec la misère dans laquelle le pays s’est enfoncé en raison des dysfonctionnements politiques. En 35 ans, l’alliance veut inverser une évolution qui a plongé le pays dans la misère au cours des 70 années précédentes.
Les gouvernements populistes et collectivistes qui se sont succédé depuis le milieu du siècle dernier ont créé un État paternaliste, qui a freiné les initiatives individuelles favorisant la croissance, et donc la classe moyenne. Conséquence de cette politique menée au cours des sept dernières décennies, 50 % de la population vit désormais en dessous du seuil de pauvreté, les entreprises privées ont décliné de manière drastique et le taux d’analphabétisme est en hausse. Dans un pays qui était autrefois à la pointe de l’alphabétisation non seulement en Amérique latine, mais aussi dans le monde entier. Aujourd’hui, comme l’explique l’alliance dans son programme électoral, les diplômés du système éducatif ne parviennent plus à lire correctement un texte et le peu de personnel qualifié encore présent s’en va.
L’alliance veut changer cela. Pour pouvoir évaluer correctement les projets concrets de ce mouvement de liberté, il ne faut pas se fier aux articles de presse, généralement polémiques. Nous nous basons plutôt sur le programme électoral signé par les participants au congrès de «La Libertad Avanza», qui présente en détail la mission, les valeurs et les mesures envisagées.
Programme électoral de l’alliance
Le programme électoral de «La Libertad Avanza» commence par déclarer que le libéralisme repose sur le respect total du projet de vie d’autrui, en se basant sur le principe de non-agression et sur la défense du droit à la vie, à la liberté et à la propriété. Les institutions considérées comme fondamentales sont le libre marché sans intervention de l’État, la libre concurrence, la division du travail et la coopération humaine.
L’alliance électorale «La Libertad Avanza» se définit comme un mouvement qui veut unir les personnes qui veulent promouvoir une politique libérale. L’alliance appelle les Argentins à un redressement économique, politique, culturel et social afin de redevenir «le pays florissant» que l’Argentine était autrefois. L’alliance veut créer «une société moderne, fiable et prospère». Les valeurs directrices sont le principe du mérite, l’efficacité et la transparence. L’Argentine doit devenir un pays moderne, équitable et prospère, «dans lequel ses habitants sont fiers de participer à la réalisation d’objectifs personnels et communs sur le chemin de la croissance».
La première étape des réformes consistera en une réduction drastique des dépenses publiques et en une réforme fiscale prévoyant une baisse des impôts, une flexibilité du travail pour créer des emplois dans le secteur privé et une ouverture au commerce international. Ces mesures s’accompagneront d’une réforme financière visant à instaurer un système bancaire libre et déréglementé, ainsi qu’une libre concurrence des monnaies.
Dans un deuxième temps, le programme propose une réforme du système des retraites, afin de réduire les dépenses de l’État en la matière. Cette mesure est nécessaire car ce sont ces dépenses qui creusent le plus le déficit budgétaire. La réforme des retraites vise à mettre en place un système de capitalisation privée. Cette réforme est liée à un programme de départ volontaire à la retraite des fonctionnaires. L’objectif de minimiser la taille de l’État s’accompagne également d’un projet de réduction du nombre de ministères à huit.
La troisième phase consistera en une réforme en profondeur du système de santé. Comme pour les autres réformes envisagées, l’initiative privée et la concurrence doivent être renforcées dans ce domaine.
Le programme électoral de «La Libertad Avanza» décrit point par point les mesures qui visent à préparer la réforme économique du gouvernement de Javier Milei. Les mesures énumérées ci-dessous sont mentionnées dans le programme électoral comme étant les principaux objectifs de «La Libertad Avanza» :
Catalogue des mesures de politique économique
- Élimination des dépenses inutiles de l’État
- Optimisation et réduction de la taille de l’État
- Incitation à la création de vrais emplois et d’emplois de qualité
- Privatisation des entreprises publiques déficitaires
- Promotion des investissements privés
- Développement du réseau routier national afin de relier les différents modes de transport et de faciliter le transport et l’échange de marchandises
- Création de ports et d’aéroports dans les points névralgiques du pays et amélioration des ports existants
- Amélioration du réseau routier grâce à des investissements privés
- Révision des contrats de location des biens immobiliers utilisés par l’État et remplacement des biens improductifs appartenant à l’État
- Encouragement des investissements privés pour l’exécution de travaux qui favorisent le commerce et l’économie régionale, et qui favorisent l’échange de produits sur l’ensemble du territoire national
- Ensuite, plus tard, suppression de la banque centrale
- Mise en concurrence de différentes monnaies, permettant aux citoyens de choisir librement le système monétaire ou la «dollarisation» de l’économie
- Suppression du contrôle des changes
- Suppression de la retenue à la source sur les exportations et des droits d’importation
- Uniformisation du taux de change
- Promotion d’une loi sur les loyers sur l’ensemble du territoire national, prévoyant le libre accord entre les parties sur les conditions de durée, l’actualisation et la monnaie dans laquelle le paiement doit être effectué
Contrairement à ce qu’affirment les médias, qui insinuent que Milei veut abolir la banque centrale dès le début de son mandat, le programme de «La Libertad Avanza» indique que l’abolition de la banque centrale ne serait «envisagée» que dans une étape ultérieure. En outre, le programme indique que la réforme monétaire concerne la libre concurrence monétaire et que l’introduction du dollar en tant que monnaie nationale n’est qu’une option parmi d’autres, qui n’interviendra que si les citoyens en décident ainsi.
Réforme fiscale
Tout comme les points cités ci-dessus, la réforme fiscale comporte des objectifs qui n’ont rien d’utopique et qui servent concrètement à remettre l’Argentine sur les rails.
- Suppression et réduction des impôts afin d’encourager le développement de processus de production privés et l’exportation de biens et de services
- Abolition des droits de douane à l’exportation ou des retenues à la source
- Financement public par un système de redevances et de concessions pour l’exploitation des ressources naturelles
Réforme du marché du travail
Le programme électoral de «La Libertad Avanza» détaille la réforme du travail qui sera mise en œuvre par le gouvernement de Javier Milei. Elle se compose de dix points :
- Promotion d’une nouvelle loi sur les contrats de travail qui supprime les indemnités sans motif et les remplace par un système d’assurance chômage afin d’éviter les litiges
- Réduction des charges pour les employeurs
- Suppression de l’obligation d’adhérer à un syndicat
- Limitation des mandats syndicaux
- Réduction des impôts pour les travailleurs
- Rétablissement de la formation professionnelle grâce à des investissements privés
- Création d’une bourse publique du travail sur la base d’un financement privé
- Remplacement de l’actuelle loi relative à l’assurance contre les accidents du travail par une législation conforme aux normes internationales, sans effet rétroactif
- Rétablissement de la carrière administrative hiérarchique au sein de l’État
- Réduction de la taille de l’État en proposant des départs volontaires à la retraite et des préretraites
Infrastructure, éducation et sécurité
D’autres points du programme traitent de la technologie et de l’infrastructure. L’alliance veut développer l’industrie maritime, promouvoir le tourisme et le développement technologique dans les domaines de l’agriculture, de la pêche, des mines, de l’élevage et de l’agro-industrie. La politique gouvernementale veut promouvoir la biotechnologie, la technologie numérique et l’intelligence artificielle et soutenir les investissements dans le domaine des «énergies propres». Le développement des infrastructures doit être entrepris avec des fonds privés.
L’alliance accorde une importance particulière à la formation du «capital humain», entendu comme l’ensemble des compétences, des talents, de l’expérience et des connaissances de chaque personne, qui est indispensable à l’économie d’un pays. L’investissement dans le capital humain doit servir à augmenter la productivité et à promouvoir le progrès technologique. La préservation et l’investissement dans le capital humain de l’Argentine doivent passer par la fusion des ministères du développement social, de la santé et de l’éducation.
Dans le domaine de la santé, le programme de l’alliance souligne que la réduction de la taille de l’État et la diminution des dépenses publiques ne doivent pas réduire la qualité et la quantité des services fournis.
Dans le domaine de l’éducation et de la formation, l’alliance se prononce pour un système de bons scolaires dont les parents pourraient disposer pour leurs enfants, et choisir l’école qui correspond à leurs attentes. Le système éducatif doit par ailleurs être décentralisé et structuré de manière plus compétitive.
Finalement, le programme traite en détail de la sécurité intérieure et extérieure, en mettant surtout l’accent sur l’efficacité. Ainsi, par exemple, le programme demande sans ambages au point 18 l’interdiction d’entrée sur le territoire des étrangers ayant un casier judiciaire et au point 23 de la section «Sécurité nationale et réforme juridique» : «Une expulsion immédiate des étrangers qui commettent des délits dans le pays».
Conclusion et perspectives d’avenir
Le programme de «La Libertad Avanza» est loin d’être «anarcho-capitaliste» ; on ne peut pas non plus parler de «populisme de droite». Il s’agit plutôt d’un programme qui aborde de nombreux points qui doivent être réformés si l’Argentine veut redevenir un pays prospère. En ce sens, le programme de l’alliance peut même être une source d’inspiration pour de nombreux autres pays qui souhaitent sortir de l’impasse politique dans laquelle ils se trouvent. L’avenir nous dira si ces projets sont réalistes et s’ils peuvent être mis en œuvre.
Cet article est une version actualisée d’un texte publié en octobre par l’Institut Ludwig von Mises en Allemagne.