«L’important est de rétablir un ancrage réel de la monnaie, car c’est la dichotomie, inédite à cette échelle, de l’unité monétaire de tout actif réel qui est à la base de la déconnexion du réel et du financier que tout le monde déplore depuis longtemps sans en connaître le véritable point de départ.»
Philippe Simonnot et Charles Le Lien
Économiste et journaliste passionné, Philippe Simonnot nous a quittés le 17 novembre dernier. Le présent article est un hommage posthume à un ami de l’Institut ainsi qu’un brillant économiste attaché à l’héritage libéral français. Philippe nous avait fait le plaisir de sa visite en Suisse, lors de la conférence de 2012 où il présenta avec clarté son dernier livre coécrit avec le professeur Charles Le Lien. Cet article tâchera de vous pousser à la lecture de cet excellent ouvrage.
Philippe Simonnot n’a eu de cesse, depuis ses débuts dans le journalisme économique, de partager au grand public la sagesse des physiocrates et des premiers libéraux européens. Sa disparition laisse un grand vide dans le paysage libéral français ainsi qu’une profonde tristesse dans les cœurs de ceux qui ont côtoyé cet homme sincère, honnête et entièrement dédié à la défense de la liberté.
Son ouvrage dont il nous avait fait la présentation à Genève, La Monnaie, Histoire d’une imposture, est une brillante synthèse de l’histoire de la monnaie mais aussi une critique substantielle du système monétaire actuel. Les auteurs y décrivent la lente évolution des moyens de paiement jusqu’au système monétaire moderne et son impasse.
Selon les auteurs, le moteur principal de l’évolution monétaire provient de «la loi du moindre effort». C’est en effet par la recherche d’économies que l’Homme est passé du troc à une monnaie primitive comme l’usage de peaux de bêtes, puis à des métaux précieux et enfin à la monnaie fiduciaire. Le gain de temps et d’énergie est ce qui a conduit à son évolution technique mais également à l’acceptation de sa manipulation, cette imposture qu’ils dénoncent.
La monnaie a ceci d’intéressant qu’elle n’est ni un bien de consommation, ni un bien de production mais un bien d’échange. Elle n’a, contrairement à ce qui est souvent enseigné, rien de régalien par nature. Elle est tout d’abord une affaire privée, indissociable du marché qu’elle permet de faire fonctionner. Historiquement, l’État va cependant souvent s’immiscer dans sa fabrication, sous prétexte d’en garantir le bon aloi.
Ce privilège fut la source de nombreux abus. En réduisant sa teneur en métal précieux, en réduisant son poids ou encore en imposant son prix, différents suzerains ou gouvernements ont utilisé ce pouvoir contre l’intérêt des masses. Nicolas Oresme fut l’un des premiers grands critiques de la manipulation monétaire. Conseiller du roi Charles V et évêque influent, il s’est attaché à décrire les méfaits de l’altération de la monnaie. Il est pour cela décrit comme l’un des premiers libéraux français à avoir reconnu le crime de malversation de la monnaie par le pouvoir qui se charge de sa gestion.
On sait qu’à la fin du Moyen-Âge, la monnaie métallique fait peu à peu place à la monnaie-papier qui va ainsi permettre de réduire davantage encore les coûts des transactions, mais reste tout d’abord adossée aux métaux précieux, l’or ou l’argent. Les agents spécialisés opèrent également des virements entre comptes courants ouverts chez eux par les déposants afin d’en faciliter l’utilisation.
La détention d’or est réduite dans les périodes de prospérité en raison de la confiance des déposants. Inversement dans les périodes de doute, ils veulent le retirer des établissements bancaires. Ce qui amène étrangement à ce que le système monétaire d’étalon-or produise le plus puissant facteur de retrait de l’or de la circulation monétaire et son non-respect au retour de celui-ci.
Mais la tentation est forte de créer de la monnaie non adossée à de l’or. En ouvrant des comptes courants et en émettant des billets de moins en moins gagés, l’État peut compléter ses besoins en ressources par la création monétaire en sus des impôts et des emprunts.
L’avènement des banques centrales, en 1672 en Angleterre, en 1803 en France et finalement en 1913 aux États-Unis, permet aux États de lever les derniers obstacles pour créer de la monnaie ex nihilo en s’octroyant le privilège exclusif de l’émission de billets. La fin de Bretton Wood et la décision du président Nixon, le 15 août 1971, de cesser toute convertibilité du dollar en or signera la fin définitive de la monnaie saine. Cet abandon de la convertibilité est en fait l’aboutissement d’un long processus de transformation de la monnaie vers un outil d’imposition du peuple.
Sous la pression des États, les banques centrales vont être contraintes de détenir dans leurs portefeuilles des titres de dettes publiques, qui sont de fausses créances puisqu’elles ne sont pas destinées à être remboursées et qui sont de fait génératrices de fausses monnaies.
C’est à ce moment-là, au début du XXème siècle, que naissent la notion de politique monétaire et la théorie selon laquelle il est possible de contrôler la masse monétaire, pourtant indéfinissable et fluctuante, pour contrôler la hausse et la baisse des prix. L’effet de cette idéologie est l’apparition des grandes crises économiques actuelles, un endettement croissant des États et la fragilisation de nos systèmes économiques.
Selon nos auteurs, il n’y a pas de sortie aisée de cette situation car toutes les institutions étatiques sont liées à cet état de fait. «L’important est de rétablir un ancrage réel de la monnaie, car c’est la dichotomie, inédite à cette échelle, de l’unité monétaire de tout actif réel qui est à la base de la déconnexion du réel et du financier que tout le monde déplore depuis longtemps sans en connaître le véritable point de départ.»
En conclusion, les auteurs préconisent l’établissement d’une unité de compte distincte de toute monnaie nationale existante. Un référent qui serait ancré dans l’économie réelle et qui serait difficile à manipuler. Ils proposent également que la puissance publique se cantonne à son rôle de garant de l’honnêteté monétaire par une déréglementation véritable, monétaire et fiscale, puisque c’est par une accumulation de réglementations spécifiques visant à édulcorer les disciplines monétaire et budgétaire que l’État, les gouvernements et plus largement les secteurs publics ont pu se tailler la part du lion dans les richesses nationales. Finalement, il s’agirait de redonner à l’or ses lettres de noblesse en suspendant la clause de convertibilité et en la défiscalisant.
L’ouvrage de Simonnot et Le Lien est à mettre entre toutes les mains. Il s’agit d’un livre accessible qui retrace l’évolution d’un élément essentiel de nos existences tout en démontrant les principaux arguments libéraux contre son utilisation à des fins d’aliénation de la société.
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