«Avec le TTIP fin 2017, la Suisse devra sacrifier une vache sacrée»

Martin Naville, directeur de la Chambre de commerce Suisse-Etats-Unis, s'est déclaré optimiste sur l'avenir du partenariat transatlantique, lors d'une conférence sur les conséquences des élections américaines. La Suisse défendra-t-elle son agriculture, malgré les risques de délocalisation des entreprises?

Martin Naville, directeur de la Chambre de commerce américano-suisse, s'est révélé de loin le plus optimiste, mardi soir à Zurich, lors d'une conférence de l'Institut Libéral destinée à comprendre «ce que la Suisse peut attendre des élections présidentielles américaines».

A propos du partenariat commercial transatlantique (TTIP), Martin Naville a condamné la «propagande de Greenpeace et le rôle des médias dans la publication d'informations qui ne contiennent, en réalité, rien de nouveau». Le traité de libre-échange devrait être sur la table vers la fin 2017 ou au début 2018, a-t-il assuré. «La Suisse doit décider de s'y arrimer, mais la ratification sera difficile en raison de son agriculture», a-t-il lancé. La Suisse sacrifiera-t-elle cette «vache sacrée»? Ce sera un traité à prendre ou à laisser. Elle ne pourra pas le renégocier.

Mais elle prendrait de grands risques, à son avis, en restant à l'écart de cette zone de libre-échange, d'autant que d'autres pays ne manqueraient pas de s'ajouter au partenariat américano-européen. Les investissements pourraient privilégier d'autres destinations que la Suisse. «La menace serait réelle de ne plus être un site de premier choix pour les centres européens des grandes entreprises», a-t-il rappelé.

Il n'y a pas de guerre entre la Suisse et les Etats-Unis

Le directeur de la chambre de commerce a rappelé la vigueur des relations entre la Suisse et les Etats-Unis. Les investissements suisses vers les Etats-Unis ont augmenté de 50% en sept ans et les investissements directs en Suisse de 61%. La qualité des relations économiques bilatérales se lit aussi dans la hausse de 38% en quatre ans des exportations suisses vers les Etats-Unis. Elle contraste avec leur diminution de 3% vers la zone euro, de 8% vers l'Allemagne et de 10% vers les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine).

«Les Etats-Unis ne sont pas en guerre contre la Suisse en dépit de certaines affirmations», a poursuivi Martin Naville. Les amendes bancaires ont touché à plus de 75% les banques américaines et à moins de 5% les instituts suisses. En outre, les groupes suisses ont rapatrié plus de 100 milliards de bénéfices réalisés aux Etats-Unis en cinq ans. «Combien ont-ils rapatrié de la Chine?», a-t-il demandé. Il a toutefois concédé que les défis ne manquaient pas, citant par exemple les conséquences incertaines d'une probable amnistie fiscale des multinationales américaines.

Les deux candidats s'attaquent aux riches

Les autres conférenciers étaient très pessimistes sur l'avenir des Etats-Unis. «Tous les quatre ans, lors des élections présidentielles, on se dit que ce sont les deux pires candidats possibles. Cette fois, avec Donald Trump et Hillary Clinton, c'est vraiment le pire choix, a déclaré Michael Tanner, chercheur au Cato Institute et auteur de «Leviathan on the Right». C'est même, à son avis, une rupture par rapport aux 50 dernières années. «Jusqu'ici, la différence était mince entre les candidats des deux partis», selon le chercheur du laboratoire d'idées libérales.

Michael Tanner observe un affaiblissement du consensus libéral depuis 12 ans. Jusqu'ici, les deux principaux candidats défendaient le libre échange, un gouvernement limité, la séparation des pouvoirs, l'ouverture internationale. «Ces valeurs ne sont plus partagées par la majorité», a-t-il regretté.

«Depuis des années, j'essaie de souligner l'urgence d'une réforme budgétaire face à l'envol des dépenses sociales. Mon travail s'est écroulé», a avoué Daniel Mitchell, chercheur à l'institut Cato. Les perspectives budgétaires sont, à son goût, «pires qu'en Allemagne et en France». Le libéral «souhaite la victoire d'Hillary Clinton, malgré les soupçons qui pèsent sur sa fondation, pour repartir d'un bon pied dans quatre ans», a-t-il déclaré.

Les deux principaux candidats sont opposés au libre-échange, défendent une augmentation du rôle du gouvernement dans l'économie, un renforcement de l'État providence, une hausse des impôts et un rôle accru du gouvernement sur les prix des médicaments. Pour la première fois aux Etats-Unis, les deux principaux candidats s'en prennent aux riches.

«Les Etats-Unis en sont arrivés là parce que les hommes politiques ont aligné les promesses sans les tenir», a expliqué Michael Tanner. «Les frustrations sont énormes», a-t-il ajouté. Pour d'innombrables citoyens, le rêve américain s'est envolé», a-t-il conclu.

Daniel Mitchell s'est dit, pour sa part, persuadé non seulement du futur déclin de la liberté économique aux Etats-Unis, mais aussi de l'érosion de l'état de droit et de celle de la protection de la propriété privée.

Emmanuel Garessus, Le Temps

6. Mai 2016