Tantôt présenté comme le «Trump de la pampa», tantôt comme un «politicien populiste», Javier Milei vient d’être élu à la tête de l’Argentine et il est difficile de trouver un descriptif reluisant et réaliste de ce nouvel homme d’État dans les lignes éditoriales francophones.
Le qualificatif d’extrême-droite ou, plus à la mode, d’ultra-droite, démontre aussi l’absence d’intérêt que montrent les journalistes au monde des idées qui ont pourtant porté ce candidat jusqu’à la plus haute marche du pouvoir.
Cela mérite pourtant qu’on s’y intéresse, car c’est le premier président élu avec un programme authentiquement libéral en Argentine. Il se dit même «anarcho-capitaliste», une philosophie libérale visant la suppression pure et simple de l’appareil étatique, afin de n’accepter que des institutions librement consenties. Dans cette philosophie de pensée, l’impôt est considéré comme un crime car il n’existe qu’en raison de la contrainte violente de l’État.
Devant l’ampleur d’un tel objectif, Javier Milei reste cependant réaliste. Il se dit «minarchiste» par nécessité. Cela signifie qu’il souhaite réduire l’État à une taille minimum. C’est une position plus classique du libéralisme qui est notamment soutenue par des penseurs comme Robert Nozick ou Ludwig von Mises.
Sa présidence ne devrait pas être observée comme un simple phénomène «populiste», mais comme la mise en pratique de théories politiques fondamentalement différentes de celles mises en œuvre en Argentine depuis des décennies. C’est donc une rupture profonde qui pourrait avoir une influence importante et durable pour le pays ainsi que pour le reste de l’Amérique du Sud.
Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, l’Argentine a été dominée par différentes variantes de péronisme. Une philosophie socialiste initiée par le militaire et homme politique Juan Perón, qui fait la part belle à l’État-providence et aux politiques corporatistes et protectionnistes. Une philosophie aux antipodes de celle de Javier Milei.
Le péronisme et ses différents courants de pensée, ont régné quasiment sans partage pendant plus de 80 ans et ont appauvri un pays qui était autrefois un Eldorado pour les émigrés européens et de très nombreux Suisses.
Résultat de ces années d’étatisme, en 2023, 40% de la population se trouve sous le seuil de pauvreté et l’inflation annuelle est de 143%. La monnaie a été utilisée par les gouvernements successifs pour financer leurs programmes et le nombre de fonctionnaires n’a fait qu’augmenter d’année en année.
Face à ce terrible constat, un changement idéologique sonnait comme une évidence pour de nombreux citoyens. La personnalité excentrique de Javier Milei n’est qu’un détail de cette élection : ce sont ses idées qui ont fait écho auprès d’une population excédée par des décennies d’échec.
Le programme du candidat Milei était très clair et il a été compris par les Argentins : réduction drastique des dépenses de l’État, suppression de plus de la moitié des ministères, suppression de pans entiers de législation et suppression de la banque centrale. L’État-providence sera fortement réduit, toutefois, l’aide aux pauvres sera maintenue et renforcée pour le temps de la transition (le président n’a pas caché que les premiers mois seraient difficiles).
Un slogan a particulièrement touché les Argentins : «Je ne suis pas là pour diriger des moutons mais pour réveiller des lions». Milei a refusé d’endosser ce rôle de guide du peuple que l’on cherche souvent à attribuer à la fonction présidentielle. Il veut au contraire libérer les forces vives du pays et chasser toutes les fausses promesses de ses prédécesseurs.
Notons également qu’il n’utilise pas le jet privé du gouvernement et qu’il offre chaque mois l’intégralité de son salaire à un citoyen tiré au sort. «Je rends au peuple une partie de l’argent qui lui a été volé» déclare-t-il. A-t-on déjà entendu de telles tirades anarchistes de la part d’un président élu ?
Évidemment, Milei ne parviendra pas à mettre en œuvre tout son programme avec facilité. Il devra réussir à faire passer ses décrets en obtenant des majorités (son parti est encore jeune et minoritaire au parlement). Il devra aussi convaincre ses alliés, notamment les partisans de Mauricio Macri, avec qui Milei a formé une alliance pour remporter le second tour.
Il faudra aussi, et il en est conscient, passer une période difficile de transition où le chômage et l’inflation augmenteront sensiblement. Toutes ces étapes seront nécessaires pour sortir le pays du carcan dans lequel il s’était enfermé.
Les réformes libérales proposées par le gouvernement Milei sont importantes. De par la profondeur du changement philosophique qu’elles vont engendrer dans le pays, elles sont sans doute comparables aux mesures de transition traversées par les anciens pays du bloc de l’Est dans les années 90. La plupart de ces réformes ont permis un succès retentissant dans les pays baltes, en Pologne ou encore en Tchécoslovaquie.
Qui sait, cette nouvelle réussite pourrait sonner le début d’un vaste mouvement libéral, libertarien ou, pourquoi pas… anarchiste.
Frédéric Jollien, économiste, est membre du comité de l’Institut Libéral