Il y a les médicaments qui tuent le microbe et ceux qui traitent les symptômes sans agir sur la cause. Notre système d’assurance maladie souffre du manque de concurrence, entretenu par les groupes de pression qui le contrôlent et du manque de liberté offert à ceux qui le financent et le subissent. Or remplacer un cartel de 85 caisses maladie par le monopole d’une caisse unique équivaut à injecter dix grammes d’aspirine à un grand malade, sous prétexte que dix comprimés d’un gramme ne l’améliorent pas. Dans les deux cas, la dose est toxique et ne guérit pas le mal. Une caisse omnipotente sonnera le glas de toute concurrence: elle ne réduira ni le gaspillage, ni les dépenses.
L’initiative prédatrice des socialistes a passablement agité la Fédération des médecins suisses (FMH): l’ambiguïté d’un comité central prêt à s’en accommoder n’a guère été goûtée par la base. A force d’hésiter entre le rôle de groupe de pression qui n’ose pas dire son nom et celui d’interlocuteurs d’une nomenklatura politique à qui ils n’osent pas dire non, les stratèges de la FMH finissent logiquement par dégager une certaine schizophrénie.
Le monopole public viole «le droit à la vie et à l’intégrité de la personne»
Nombreux sont les médecins à déplorer le déluge de lois, réglementations et tracasseries bureaucratiques qui s’abattent sur eux. Ils ne peuvent plus compter sur leurs associations faîtières pour se faire entendre. Aux Etats-Unis la dissidence combattante est incarnée par l’Association of American Physicians and Surgeons, alternative à une American Medical Association fossilisée et incapable de s’opposer à la tyrannie envahissante des programmes étatiques Medicare et Medicaid (qui réunissent plus de 50 manuels de règlements!). Le Canada est souvent cité en exemple par les thuriféraires de la médecine d’Etat. En acceptant le recours d’un tenace médecin montréalais — traité jusque là comme un pestiféré par sa propre association médicale — la Cour suprême du Canada a reconnu l’illégalité d’un monopole public dont les files d’attente violent «le droit à la vie et à l’intégrité de la personne», garantis par l’article premier de la Charte québécoise des droits et libertés. Au Royaume-Uni, le cancéreux du colon a 36% de chances de survie à cinq ans (51% en Suisse, 60% aux Etats-Unis). Et malgré des dépenses de santé qui passeront de 6,9% à 8,6% du PNB en cinq ans, les insuffisances du National Health Service britannique restent criantes et conduisent des centaines de médecins à exiger, en marge de leurs associations officielles, la libéralisation en profondeur de leur système de santé.
Comptes d’épargne et secteur social privé
Les alternatives libérales existent. Les comptes d’épargne santé qui commencent à éclore ici et là montrent l’une des voies à suivre: ils offrent aux individus la possibilité de reprendre le contrôle de leurs dépenses médicales et obligent les prestataires de soins à adapter offre et tarifs à la demande du marché. Sur le front pharmaceutique, une défiscalisation audacieuse aurait un effet largement plus efficace sur le coût des médicaments que la promotion obsessionnelle de génériques qui ne profite qu’aux copieurs et coupe les ailes aux chercheurs. En parallèle, le développement du secteur social privé, comme de la philanthropie et de l’entraide volontaire, offrirait des solutions aux personnes de condition modeste. En reconnaissant ouvertement l’échec de la solidarité forcée, l’Etat ouvrirait ainsi le champ à un secteur aussi accessible que dynamique.
Aussi longtemps que l’on refusera de remettre fondamentalement en question un système de santé collectivisé, la Suisse continuera à courir le risque de projets faussement simplificateurs comme la caisse unique, tandis que l’effet des réformettes concoctées dans les fioles législatives ne dépassera guère celui de l’acide acétylsalicylique. Mais l’analogie est sans doute injuste: notre bonne vieille aspirine a au moins la vertu de soulager le mal de tête.