La crise financière reflète la défaillance de l'Etat
La distorsion du coût du capital impliquée par la politique monétaire a induit en erreur les investisseurs et conduit aux égarements que les marchés doivent aujourd'hui corriger.
La crise américaine du crédit hypothécaire et ses enchaînements en Suisse ont réveillé, comme il se devait, le mythe de la «défaillance du marché» et ravivé les appels à une réglementation du secteur bancaire encore plus dense. Ce secteur déjà soumis à une inflation normative exacerbée par la «vision zéro» des autorités devrait donc se voir, si ce point de vue était suivi, confronté à de nouveaux paragraphes. Mais a-t-il réellement besoin de plus d'intrusion étatique?
Le contraire semble vrai. La crise des marchés financiers n'a pas été provoquée par une défaillance présumée du marché, mais par un monopole légal, dont dépend dans une large mesure l'activité des banques commerciales: celui de l'émission de monnaie. Les banques centrales non seulement imposent les taux directeurs et le niveau de réserves obligatoires qui déterminent le niveau des prêts accordés, mais en leur qualité de prêteurs de dernier ressort libèrent en partie les institutions financières de la responsabilité de leurs prises de risques. C'est cette distorsion du coût du capital impliquée par la politique monétaire qui a induit en erreur les investisseurs et conduit aux égarements qu'il convient désormais de corriger.
Le déversement excessif de liquidités et la baisse exagérée des taux par la Réserve fédérale américaine ont désamorcé le principal signal de l'activité économique et encouragé des investissements dont les coûts artificiellement bas ne correspondaient à aucune réalité. Le marché immobilier américain a connu une forte croissance financée par de l'argent trop bon marché menant à une évaluation erronée du pouvoir d'achat réel. Or, l'Etat n'a bien sûr aucune capacité d'évaluer ce qui est un taux d'intérêt correct sur desmarchés aussi complexes et transcendant le plus souvent les frontières nationales.
Comme l'a relevé récemment Thomas Jordan, membre de la Direction générale de la Banque nationale suisse, «la politique monétaire déploie son action dans un contexte de grande incertitude» et ses responsables «doivent reconnaître les limites de leurs connaissances». L'économie, en effet, n'est pas une machine dont le comportement pourrait être prédit de façon exacte. Les innombrables décisions individuelles et décentralisées que résume le terme de «marché» conduisent à des changements continuels et non linéaires. Les notions de progrès technologique et demondialisation ne parviennent qu'en partie à en synthétiser tout le dynamisme.
La politique monétaire, malgré les simulateurs mathématiques sophistiqués à disposition, doit ainsi s'apparenter plus ou moins à un tâtonnement dans le noir.
L'un des plus grands économistes du siècle dernier, Friedrich A. Hayek, avait démontré ce lien entre la problématique du monopole de l'Etat sur l'émission demonnaie et les cycles économiques, ce qui lui a valu d'être récompensé par le Prix Nobel. La planification centrale ne fonctionne ni pour lamonnaie, ni dans d'autres secteurs de l'économie. Malheureusement, ce sont les reliquats dévastateurs des thèses largement discréditées d'un autre économiste, John Maynard Keynes, qui dominent encore la pensée de l'étatisme monétaire. Il faut s'attendre à ce que les nouvelles baisses des taux aux Etats-Unis retardent l'assainissement structurel de l'économie et s'avèrent tout aussi contre-productives.
S'il est difficile de concevoir, au stade actuel du débat, un retour à la libre concurrence monétaire que décrit Hayek dans son célèbre article «Denationalisation of Money», il s'agirait plutôt de réfléchir, dans ce contexte, à de meilleures règles de discipline pour les banques centrales, et non pour les banques commerciales induites en erreur par une politique monétaire trop expansive.
Cet état de fait souligne toute la perversité d'attribuer la crise actuelle à l'irrationalité», à «la mentalité moutonnière» ou à «l'appât immodéré du gain» qui prévaudraient dans le secteur bancaire. Bien sûr, dans les banques comme ailleurs, les êtres humains commettent des erreurs voire, dans certains cas isolés, peut-être des fraudes. Mais il est aberrant d'en extrapoler une attaque généralisée contre le libre fonctionnement des marchés financiers. Un marché, qui ne traduit rien d'autre qu'un ensemble de relations contractuelles librement consenties, ne peut, par définition, être défaillant. Un marché est toujours fondé puisqu'il reflète les choix des parties contractantes: que celles-ci acceptent de conclure l'échange en est une preuve suffisante.
C'est bien sûr le cadre institutionnel qui est défaillant. Ce sont les institutions de l'Etat, et en particulier les banques centrales, qui ont conduit aux problèmes systémiques, au-delà des erreurs individuelles, ayant abouti à la crise financière. Il serait absurde de soutenir que les dizaines de milliards de francs d'amortissements auxquels ont dû procéder certaines banques, avec l'impact correspondant sur leur réputation, soient le résultat de l'appât du gain. Il ne peut être dans l'intérêt d'une banque de prendre des risques démesurés. C'est parce que les coûts endogènes étaient dissimulés par la distorsion des taux que de tels risques ont pu être pris.
Tout appel à davantage de réglementation met en évidence une autre confusion à propos de l'activité entrepreneuriale des banques: c'est précisément la recherche du profit qui protège les clients en incitant les banques à maintenir la meilleure réputation possible. Aucune banque n'a jamais gagné de l'argent sur le long terme de façon incompétente ou illicite. L'appel à la réglementation, en attaquant de front l'intégrité des acteurs financiers et en les faisant tous suspects, relativise l'importance de la réputation pour prospérer. Il n'a pour effet que de renforcer l'impact négatif avéré du poids de l'Etat sur le bien-être économique.
Pierre Bessard est directeur de l'Institut Libéral. Cet article a été publié dans Le Temps.
Février 2008
